Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/735

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

favorable qu’un autre à la production et à l’échange ; si le développement industriel et commercial est l’œuvre persévérante du temps, malgré des conditions désavantageuses, ou s’il est le fruit naturel de l’émancipation des forces qui composent cette double activité ; je n’ai point à m’en occuper ici : il me suffit de constater ce développement croissant. Or fabriquer, acheter et vendre sont des fonctions sociales aussi opposées que possible aux choses de la guerre. Celles-ci ne sont-elles pas aussi éloignées de celles-là que détruire l’est de construire, que suspendre les transactions l’est de former des contrats ? L’Industrie et le Commerce semblent belliqueux, à vrai dire, quand la première forge des armes et que le second en trafique. Mais il est bien probable que l’une et l’autre, dans ce cas, travaillent contre leurs intérêts. D’une part, en effet, la prospérité des vainqueurs ruine celle des vaincus pour le présent et risque de la compromettre pour l’avenir. D’autre part, si grand que soit le nombre des ouvriers et des employés transformés en agens de mort, combien d’entre eux et combien d’autres de tous les métiers sont enrôlés pour la guerre et y sont frappés ! De combien de naissances la population laborieuse de l’univers est-elle, par suite, frustrée à tout jamais ! En tous cas, si l’œuvre de l’Industrie et du Commerce est parfois belliqueuse, leur esprit, même alors, ne l’est point. La préférence pour les professions libérales, non moins que pour les professions d’ordre économique, s’accuse de plus en plus en France et dans beaucoup d’autres pays. Il en résulte que les aptitudes militaires chez les peuples modernes ne sont plus aussi spécialisées qu’autrefois, et la culture moins exclusive et plus raffinée favorise cette évolution ; elles tendent à se transformer dans le sens des préoccupations générales et à changer d’emploi. Le coup d’œil, la décision, la hardiesse d’initiative et la persévérance de la volonté, qui sont les qualités essentielles du génie d’un chef d’armée, trouvent une autre destination dans le monde des affaires ; et les soldats, une fois libérés du service, deviennent, grâce à leur habitude de la discipline, des auxiliaires très appréciés dans les fonctions civiles où l’exactitude et l’intégrité sont particulièrement requises. C’est même reconnaître jusqu’à en abuser cette fidèle docilité que de l’employer au service domestique sous l’uniforme. Il n’y a pas de meilleure bonne d’enfans qu’une ordonnance. En somme, la vie économique est de plus en plus défavorable aux institutions de la guerre, et s’assimile peu à peu, en les désaffectant, les aptitudes militaires.