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manger isolément étaient toujours contentes du menu et de la cuisine. Les demoiselles du téléphone, qui mangeaient dans une salle à part, se plaignaient toujours. Dans les maisons de famille destinées aux jeunes ouvrières, souvent on ne veut point recevoir d’employées. On craint que celles-ci ne fassent sentir à celles-là la supériorité de leur situation sociale, et que la zizanie ne s’introduise ainsi dans la famille.

L’employée, après tout, n’a pas si tort. Que, dans les couloirs ou dans les cours de l’administration où elle travaille, elle rencontre un brave garçon (il y en a) qui soit employé comme elle, et qui ne compte pas au nombre des adeptes de l’union libre ; qu’au lieu de fonder ensemble ce qu’on appelle dans la langue du peuple un ménage parisien, tous deux contractent un mariage régulier devant M. le maire et M. le curé ; qu’après quelques années d’une existence assurément difficile et chétive, où ils auront passé peut-être d’assez mauvais jours, son mari, par un avancement régulier, finisse par être nommé commis principal ou chef de bureau, dans la hiérarchie sociale elle aura monté d’un cran. Son fils unique (car assurément elle n’aura qu’un enfant), si elle parvient à obtenir pour lui une bourse à Chaptal, à Turgot, ou dans un lycée, pourra se présenter à l’École centrale ou à Saint-Cyr. Il deviendra ingénieur ou officier. Il sera tout à fait un monsieur. Elle-même est presque devenue une dame. Qui sait ? Quand, avec son mari, elle sera retirée aux Batignolles, peut-être aura-t-elle « un jour ».

Telles sont les perspectives qui attirent beaucoup de jeunes filles vers ces carrières à peine ouvertes et déjà encombrées. Mais, pour une employée qui arrive, combien restent en route et végètent misérablement ! Combien frappent plusieurs années à la porte, sans pouvoir la franchir, et augmentent ainsi cette catégorie des non-classées, que j’ai essayé de définir en commençant, et qui est assurément fort à plaindre ! Que peut-on faire pour elles ? Avant de le rechercher, je voudrais dire un mot d’autres misères qui ne sont pas sans analogie avec celles-là, et qui sont peut-être encore plus lamentables.


IV

Lorsqu’une jeune fille vient au monde dans un de ces ménages de petits fonctionnaires, d’employés inférieurs, d’officiers en