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énumération. Les plus heureuses sont encore celles qui meurent jeunes, à l’hôpital.

N’y a-t-il pas quelque chose de plus efficace à tenter en faveur de ces infortunées que de leur faire l’aumône d’une hospitalité passagère, et de les laisser ensuite devenir ce qu’elles peuvent ? Ne pourrait-on pas créer une œuvre ou une institution qui leur fût spécialement destinée ? Une personne de tête et de cœur l’a pensé : c’est Mlle Chiron, qui fondait, il y a trois ans, la Société de protection des institutrices françaises.

Ancienne institutrice elle-même, Mlle Chiron a connu tous les hasards de la profession, brusques renvois, longs mois sans place, solitude, misère, privations. À force d’énergie, elle a triomphé de tout, et aujourd’hui, elle a pu se retirer de la lutte avec quelques économies. Au lieu d’en jouir pour elle-même, elle a conçu un généreux dessein : celui d’en faire profiter ses anciennes compagnes pour lesquelles elle a conservé un amour profond. « L’institutrice, — s’écriait-elle éloquemment dans une conférence faite à Neuilly, en janvier 1895, — je l’aime par-dessus tout au monde, et tant que je vivrai, quoi qu’il arrive, celles qui connaissent, comme je l’ai connu, le dur labeur de la vie, trouveront toujours, dans la mesure de mes forces, de mes moyens, un toit pour les abriter, un morceau de pain pour calmer leur faim, un cœur pour les consoler. »

Ce toit existe depuis peu : mais il est encore bien exigu. Mlle Chiron a consacré, en effet, la majeure partie de ses économies à constituer le capital de la Sociale de protection des institutrices françaises, qui a été autorisée par arrêté préfectoral. Dès sa création, cette société a obtenu, entre autres patronages, celui d’une charité intelligente qui s’exerce encore de loin dans le pays qu’elle n’a pas cessé d’aimer. La reine de Portugal a compté au nombre des premières bienfaitrices de l’œuvre. Mlle Chiron a établi le siège de cette œuvre à Neuilly, 10, avenue du Roule. Mais ce n’est pas un simple bureau, c’est une petite maison blanche, proprette, qui a toute l’apparence d’une habitation bourgeoise, et ne dépare point une des plus belles avenues de Neuilly. La maison tout entière est consacrée aux institutrices. En effet, le but de la société, d’après l’article 3 de ses statuts, est « d’élever le caractère moral de l’institutrice en la soustrayant aux influences funestes de la capitale et à la promiscuité qu’elle rencontre dans les bureaux de placement ». Pour les soustraire à ces influences