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l’exemple du chef, des épaulettes d’or et la croix de Cincinnatus attachée sur la poitrine par un ruban bleu ; un panache blanc flottait à son chapeau.

Le château était devenu place de guerre : les hautes avenues seigneuriales étaient sillonnées de patrouilles et coupées de barricades formées de charrettes renversées. Au portail de la grande cour et près des guérites de pierre qui en gardaient les entrées latérales, des fagots amoncelés obstruaient le passage. Le Champ de l’avenue, vaste esplanade demi-circulaire devant l’entrée principale du château, servait de terrain de manœuvres : une trentaine de cavaliers y faisaient des évolutions ; dans la cour même, des paysans apprenaient l’exercice du fusil. Les gens qui passaient la nuit, sur la route d’Avranches, voyaient toutes les fenêtres de la façade éclairées ; pendant le jour, on « défaisait les lits et on roulait les matelas, pour faire croire qu’il n’y avait personne au château ».

Il semble d’ailleurs qu’à cette époque, c’est-à-dire pendant les premiers mois de 1792, l’argent rentrait assez régulièrement dans la caisse de l’association : outre les sommes envoyées de Coblentz, l’imposition d’une année de revenus dont le marquis avait frappé ses affiliés commençait à donner quelques résultats.

Vers le même temps, la Rouerie faisait en Angleterre l’acquisition de 3 600 fusils qui, joints à 3 000 autres, envoyés d’Ostende par Calonne, formaient un total de 6 600 armes qui furent immédiatement distribuées. Il s’était en outre procuré trois milliers de poudre, quinze cents livres de plomb, quatre canons montés sur affût. Une maison écartée, louée tout exprès, servait d’atelier pour la fabrication des cartouches et la mise en état des armes.

Aux premiers jours du printemps de 1792, le marquis de la Rouerie se trouvait donc prêt à l’action. Aussi bien y avait-il urgence de brusquer l’entrée en campagne, car, si profond que fût le mystère dont on entourait les préparatifs, une pareille intrigue n’avait pu demeurer secrète, tout le pays étant, en quelque sorte, dans la confidence. Certains officiers municipaux se montraient hostiles aux projets du marquis et voyaient grandir sous leurs yeux une conjuration qu’ils auraient volontiers dénoncée ; mais à qui ? La monarchie existait encore de fait, et il n’était pas possible de traiter en factieux un homme qui se préparait à lutter pour la défense des institutions établies. Et puis, bien des