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mauvaise figure devant l’histoire. Le progrès agricole a augmenté la production du blé ; il en a, par suite, abaissé le prix. Ce prix, la liberté et le bon marché des transports ont permis au commerce de le niveler. Si l’on n’avait pas rétabli, aux frontières françaises, un droit d’entrée sur les céréales, destiné à accroître artificiellement leur valeur, le froment aurait valu depuis dix ans 15 francs à peine et eût donc été moins cher qu’en 1789.

Toutes taxes douanières à part, le maximum d’écart qui peut exister désormais dans les cours du blé sur la surface du globe ne dépasse guère le prix d’un fret maritime très réduit et d’un trajet très court par voie ferrée d’un point du monde à l’autre. D’une année à l’autre, aussi, la différence est à présent peu sensible, parce qu’il est rare que la récolte soit uniformément bonne ou mauvaise sur la totalité de l’univers ; les excédens d’une contrée suffisent à combler les déficits de l’autre.

Dans le domaine beaucoup plus restreint de l’Europe du moyen âge, les transactions commerciales, en les supposant tout à fait libres, n’auraient pu obtenir de pareils résultats. Les nations étaient trop rapprochées pour que leurs récoltes ne fussent pas influencées souvent par les mêmes excès de froid, de pluie ou de sécheresse. Les chroniques anciennes, où nos pères consignaient leurs observations sur les divers fléaux qui désolaient l’agriculture, nous renseignent à ce sujet. Il n’est pas rare de les voir signaler en Allemagne, en Italie, en Angleterre, en même temps qu’en France, une cherté de grains ou une famine, suivie d’une mortalité exceptionnelle, dont ces divers pays eurent à souffrir. Cette concordance se produit en 1125, en 1137, en 1146, en 1195, en 1214, et ainsi de suite dans le cours des siècles. A plus forte raison des phénomènes météorologiques analogues devaient-ils affecter fréquemment les divers fiefs qui constituent à présent notre territoire français.

Toutefois, à côté de ces désastres communs à la « chrétienté » ou au royaume de France, que nous révèle la hausse universelle des prix du blé, il y avait des disettes locales, des avaries partielles, auxquelles les provinces limitrophes auraient pu remédier en se prêtant un mutuel secours. Mais le grain circulait difficilement. Avec l’absence de voies de communication et de moyens de transport, il n’aurait guère pu voyager quand bien même on l’y eût encouragé, et en général on l’en empêchait. Il arrivait donc, avec une et surtout avec deux bonnes récoltes de suite dans une province, que le blé tombait à rien, et qu’avec une ou deux