Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/878

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aujourd’hui, des bières à tout prix : ainsi en Flandre, au XVIe siècle, on trouvait de la cervoise à 5 francs, mais celle de Hambourg y valait 12 francs, la forte bière de Malines 23 francs et celle de Frise 45 francs l’hectolitre. Il en était de même du cidre qui variait, dans les pays producteurs, de 1 fr. 50 à 14 francs l’hectolitre et se tenait en moyenne entre 3 et 5 francs. La distance était donc beaucoup plus grande entre le jus de la pomme et celui du raisin qu’elle ne l’est de nos jours. Le cidre n’était pas cependant la boisson des Normands et des Bretons au moyen âge. La culture du pommier, sur une grande échelle, ne remonte dans l’Ouest qu’au XIVe siècle, comme celle de l’olivier dans le Sud-Est. Elle se répandit plus tard en Picardie et même en Champagne, où les pommes sauvages jouaient un rôle d’appoint dans les mauvaises années. On les brassait alors « pour mettre sur des marcs de raisin, afin de faire du vin destiné aux domestiques ».


VI

Nous avons passé en revue les principaux chapitres de l’alimentation : pain, viande, laitages, œufs et boisson, qui forment ensemble 48 pour 100 du budget ouvrier, dont la nourriture absorbe, d’après des calculs autorisés, environ trois cinquièmes. Les 12 pour 100 de frais de bouche, qui nous restent à examiner, sont représentés par le poisson (3 pour 100), l’huile (2 pour 100), les légumes et l’épicerie (7 pour 100). Il semble que c’est peu concéder au poisson que de le supposer équivalent à un 1/33 seulement des déboursés annuels d’une famille populaire, pendant quatre siècles où le maigre était obligatoire deux jours par semaine, sans compter le carême, les vigiles, quatre-temps, etc. ; si bien qu’un catholique ne devait guère manger de viande plus de deux cents jours par an. Mais cette abstinence multipliée avait pour résultat de renchérir le poisson, transformé, sauf le long des côtes, en une denrée de luxe.

Le dauphin Humbert de Viennois rédigeait en 1336 ses menus par avance, et voici quel devait être le programme des jours de pénitence : « Le vendredi un potage aux choux, six œufs et du poisson, si l’on en trouve ; le samedi potage aux oignons et à l’huile d’olive, tarte aux herbes et du poisson, s’il y en a. » Ceci semble indiquer que, même pour un prince, il n’y en avait pas toujours. A Paris, les « poissonniers de mer » étaient accusés de