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REVUE LITTÉRAIRE

LES MÉFAITS DE LA VIGNE

Les Français sont pétris de défauts. Ces défauts, qui ne font que grandir et s’exaspérer avec le temps, deviennent chaque jour un danger plus urgent et une menace plus prochaine. Je m’empresse de le proclamer, de le crier de toutes mes forces et à pleins poumons, — afin de plaire aux lecteurs français. Car, si nous avons eu jadis une tendance à nous montrer trop aisément contens de nous-mêmes, la mode a tourné et nous avons changé tout cela. Les attitudes les plus humiliées sont aujourd’hui celles qui nous paraissent le plus convenables. Nous mettons une ardeur généreuse et un zèle presque dévot à nous mépriser et à nous accuser. Nous nous frappons la poitrine, nous courbons la tête sous le poids de notre propre indignité, nous nous piétinons avec rage. Déclarons-le donc avec allégresse : « le Français est sans goût pour le travail, sans énergie, sans esprit d’initiative, incapable des entreprises hardies et des longs efforts. À la fois routinier et ami du changement, il est pareillement inapte à se conduire et indocile à toute discipline. Dans la vie publique, il ne sait que se reposer sur l’État dont il subit, en la frondant, la toute-puissance ; il s’en remet à lui de toutes les améliorations sociales et se borne à implorer, comme une manne céleste, les faveurs du gouvernement : il naît fonctionnaire. Dans la vie privée, égoïste et craintif, jaloux de son bien-être et de sa tranquillité, il se fait de la famille la conception la plus étroite et s’en tient au système d’éducation le plus timide. Il a, dit-on, de l’esprit : c’est un esprit caustique et mordant, qui procède de l’envie. Ce qui caractérise sa littérature, c’est une sorte de raillerie et