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d’ironie qui est une forme de l’inintelligence, c’est une faculté critique qui est le signe même de l’impuissance. Ajoutez un goût pour la plaisanterie indécente qui nous est particulier, qui fait de nos livres, pour l’univers entier, un objet de scandale d’autant plus effroyable que ces livres, on ne sait pour quelle cause, sont lus partout… » Je pourrais, comme on le devine, et sans peine, étendre cette liste à l’infini. Si je m’arrête, c’est uniquement afin de ne pas atténuer l’effet de cette énumération en la prolongeant. Mais d’où vient le mal ? Comment s’expliquent tous ces travers de notre esprit, toutes ces défaillances de notre caractère, toutes ces lacunes de notre organisation sociale ? La réponse n’est pas difficile à donner et l’explication crève les yeux. C’est la faute de la vigne.

Telle est l’une des conclusions qui ressortent avec le plus de force de l’étude que M. E. Demolins consacre aux Français d’aujourd’hui[1]. On n’a pas oublié le livre hérissé de statistiques, de petits faits et de grands mots où ce consciencieux économiste passait en revue les causes de la supériorité des Anglo-Saxons. On l’a d’autant moins oublié que la publication de ce livre a déterminé chez nous un mouvement d’opinion. Une fois de plus, la nécessité s’est fait sentir à nous de changer notre genre de vie et notre organisation sociale ; n’est-ce pas de bouleversemens qu’un grand peuple a le plus besoin ? C’étaient les méthodes allemandes qu’on préconisait il y a vingt-cinq ans ; on s’aperçoit maintenant, — un peu tard, — que leur importation a été désastreuse ; c’est pourquoi des réformateurs à l’esprit indépendant nous conseillent aujourd’hui d’imiter les Anglais. Car l’imitation de l’étranger, c’est toujours le but suprême que nous proposent ces penseurs audacieux. Cette fois, restant de ce côté-ci de la Manche, c’est en France que M. Demolins cherche la cause de l’infériorité des Français. Il ne nous donne encore que le premier volume d’une étude qui en aura deux ; et j’ignore si le tableau qu’il tracera de la France du Nord sera moins sombre que celui qu’il trace de la France du Midi, du Centre et de l’Ouest ; mais d’ailleurs, peu importé : car après des siècles d’histoire nous ne sommes pas disposés à admettre qu’il y ait deux Frances : nous n’en connaissons qu’une. M. Demolins étayait sur l’idée de la race sa précédente démonstration : sa nouvelle étude est une application de la théorie des milieux. Dans chaque contrée, la nature des productions du sol détermine le choix des procédés de récolte, de culture ou d’exploitation. De là résultent les conditions de la

  1. E. Demolins, les Français d’aujourd’hui. Les types sociaux du Midi et du Centre, 1 vol. in-12 (Firmin-Didot).