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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/933

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se faire domestiques ou douaniers. Vous arrive-t-il, en parcourant les vallées de l’Anjou, d’en admirer la fertilité, d’en subir le charme, et de vous répéter les vers où Du Bellay soupire après la « douceur angevine » ? Prenez garde que cette libéralité de la nature est dangereuse : elle n’est pas créatrice d’énergie ; elle pousse à la nonchalance, à la mollesse, à la paresse. Ou peut-être aviez-vous confiance dans la rudesse et la proverbiale âpreté de l’Auvergnat ? L’Auvergne a ses bœufs ; et il est bien vrai que le bœuf d’Auvergne n’est pas de tous points méprisable. Il développe l’aptitude au commerce. Encore est-il bon de remarquer que ce commerce est seulement le petit commerce. Quand l’Auvergnat abandonne sa province, il arrive tout juste à se faire colporteur, jurisconsulte ou marchand de marrons. Toute son industrie ne va qu’à tâcher de « tirer des sous ». C’est un aimable feuillage que le feuillage pâle de l’olivier, tremblant sur le bleu du ciel de Provence. Mais quoi ! la récolte de l’olive est aisée, et l’huile se vend bien. Cela est grave. De là vient, dans un climat privilégié, ce goût pour le farniente. On vit dehors, on s’assemble sur la place publique, on s’occupe de politique, on est orateur, soit dans la manière familière de M. Thiers, soit dans la manière théâtrale de Gambetta. On pratique la politique de clan et la politique alimentaire, on se jette à la curée des places, on trafique de son influence. Et le malheur, au dire de M. Demolins, est que notre politique est aujourd’hui tout entière aux mains des Méridionaux. N’allez pas objecter que les « panamistes » n’étaient pas tous de Tarascon. N’ayez garde non plus de remarquer que ni M. Méline qui est de Remiremont, ni M. Bourgeois qui est de Paris, ni M. Ribot qui est de Saint-Omer, ni M. Hanotaux qui est de Saint-Quentin, ni M. Deschanel qui est né à Bruxelles, ni M. Brisson qui est de Bourges, ni M. Poincaré qui est de Bar-le-Duc, ne sont du Midi. Ce sont vétilles dont la science sociale ne s’inquiète pas et qui n’infirment pas ses certitudes. L’olivier est dangereux ; le châtaignier l’est davantage. Nous lui devons le type du Limousin, dont Molière a une fois pour toutes réuni les traits dans la figure à peine grimaçante de M. de Pourceaugnac. Hors de chez lui, le Limousin est réduit soit à la mendicité, soit aux fonctions militaires ou administratives. Telle est « l’influence déprimante ; » du châtaignier ! — Mais ni la dépression dont le châtaignier est la cause, ni les scandales dont la responsabilité remonte à l’olivier, n’égalent en étendue et en intensité les méfaits dont la vigne se rend journellement coupable et dont il est temps d’établir enfin le bilan.

Rien de plus séduisant au premier abord que la culture de la vigne. Elle ne comporte ni déploiement de forces, ni mise de fonds