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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 147.djvu/938

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vraiment humaine de ses créations, c’est Panurge, « fin à dorer comme une lame de plomb, bien galand homme de sa personne, sinon qu’il estoit quelque peu paillard et subject de nature à une maladie qu’on appeloit en ce temps-là faulte d’argent, c’est doleur non pareille. Toutes foys il avait soixante et troys manières d’en trouver tousjours à son besoing, dont la plus honorable et la plus commune estoit par façon de larrecin furtivement faict ; malfaisant, pipeur, beuveur, bateur de pavez, ribleur, s’il en estoit à Paris ; au demeurant le meilleur filz du monde… » Il est poltron et vantard, implorant les Saints, la Vierge et Jupiter pendant la tempête, se retrouvant gouailleur et fanfaron après que le danger est passé. Il a toute sorte d’autres qualités qui se révèlent à mesure et au cours de ses exploits. C’est une vilaine âme que l’âme de Panurge. Mais on sait assez d’où elle lui vient, dans quel sol il l’a puisée, dans quelle atmosphère il l’a respirée, dans quel milieu de traditions et d’influences locales elle s’est, comme un chef-d’œuvre, élaborée lentement : « Je suis né, dit-il, et ay esté nourry jeune au jardin de France : c’est Touraine. »

Il y avait dans Paul-Louis Courier l’étoffe d’un artiste. L’étoffe était mince et l’apprêt ’ y nuisait à la souplesse. Néanmoins, ce militaire qui avait un Homère dans sa poche a su mettre dans quelques-uns des récits dont il égaie ses lettres, si travaillées, un peu de l’élégante sécheresse des Grecs. Les choses allèrent bien tant qu’il courut les routes et guerroya en Italie. Elles se gâtèrent du jour où, renonçant à son « vilain métier », il s’installa définitivement dans son domaine de la Chavonnière. Il se compose alors — si laborieusement ! — son attitude de vigneron tourangeau ; il devient le bon Paul-Louis, ci-devant canonnier à cheval, aujourd’hui vigneron, laboureur, bûcheron, « le bonhomme Paul que nous avons vu faire tant et de si bons fagots dans son bois de Larçai, tant de bon sainfoin dans son champ de la Chavonnière », ami des petites gens, secourable aux paysans, paysan lui-même. A partir de ce moment, et pour se conformer à son rôle, il s’efforce à être hargneux, quinteux, processif et chicanier ; et il y réussit. Il fait la guerre au gouvernement de la Restauration, en opposant de village, avec des histoires de curé, de maire et de garde champêtre. « Voici la nouvelle de Luynes : le curé allait avec un mort, un homme venait avec son cheval. Le curé lui crie de s’arrêter ; il n’en a souci et passe outre sans ôter son chapeau, note bien. Le prêtre se plaint ; six gendarmes s’emparent du paysan, l’emmènent lié et garrotté entre deux voleurs de grand chemin. Il est au cachot depuis trois semaines, et, depuis autant de temps, sa famille se passe de