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quoique latent jusqu’à ce jour, qui existait entre M. Visconti-Venosta et M. Zanardelli, a fait éclat presque violemment, et il est devenu impossible de conserver les deux hommes dans un même gouvernement. Faute de pouvoir choisir entre eux, M. di Rudini les a laissés partir l’un et l’autre : il les a remplacés tous les deux, mais peut-être insuffisamment.

Les émeutes d’il y a six semaines ont révélé en Italie une situation sur la gravité de laquelle il n’était plus possible de se faire illusion. Les troubles de Milan, nous l’avons déjà dit, ne peuvent pas s’expliquer par des motifs purement économiques. La question du pain cher y a peut-être joué un rôle secondaire ; elle leur a servi de prétexte ; elle n’en a pas été la raison véritable, sérieuse et profonde. Même dès la première heure, personne ne s’y est mépris. Ce n’était pas, à coup sûr, parce que le pain était plus cher à Milan, que les Italiens réfugiés en Suisse se réunissaient pour repasser la frontière et pour venir donner à leurs frères le concours de leurs bras. Il fallait trouver d’autres causes à de pareils effets ; et, la cause une fois déterminée, la nature du remède en découlait naturellement. M. le marquis Visconti-Venosta est un homme de la droite : il devait être conduit à attribuer au mouvement un caractère politique, républicain et socialiste, et à demander, en conséquence, que l’on prît des mesures rigoureuses, à la fois préventives et répressives, contre la licence de la presse et surtout contre les abus du droit de réunion et d’association. M. Zanardelli est un homme de la gauche : il devait avoir, et il a eu effectivement, des vues toutes contraires. Pour lui, le danger, au lieu de venir des radicaux et des socialistes, venait du clergé. Il y a en Italie, — comme chez nous, d’ailleurs, — un parti nombreux, actif et puissant, qui ne manque jamais d’imputer aux influences cléricales tout ce qui arrive de fâcheux. Les partis ont un besoin instinctif de ramener à une cause simple, et dès lors plus propre à agir sur les esprits, tous les événemens qui surviennent, particulièrement lorsqu’ils sont malheureux. Ils y trouvent aussitôt des armes contre leurs adversaires.

Nous n’avons pas à prendre parti entre M. Visconti-Venosta et M. Zanardelli. Pourquoi le ferions-nous, puisque M. di Rudini s’en est abstenu ? Au surplus, peut-être avaient-ils un peu raison tous les deux, bien que dans une mesure inégale. Les associations de tous genres, tant politiques que religieuses, ont pris, depuis quelques années, en Italie un développement très considérable, sans parler des associations ouvrières, si intéressantes dans leur principe, mais qui deviennent facilement dangereuses, lorsqu’on leur a donné des espérances et qu’on ne peut