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s’agissait de les en faire disparaître. Tel est le but que Milan a poursuivi dans les élections qui viennent d’avoir lieu. Il l’a atteint, il l’a même dépassé. Voici, en effet, les chiffres sortis des scrutins : 112 libéraux, 62 progressistes, 19 indépendans, et enfin 1 radical, un seul, rara avis ! On ne saurait réduire un grand parti à une plus simple expression. Encore paraît-il que cet unique radical, embarrassé de son isolement, a donné sa démission. De pareils résultats seraient tout à fait invraisemblables, impossibles même, si l’on ne savait pas qu’en Serbie le scrutin n’est pas secret ; il est public ; l’électeur doit dire le nom du candidat pour lequel il vote. Cela explique tout. Qui oserait se permettre de voter contre le candidat du gouvernement, lorsqu’il faut le faire ouvertement, sous l’œil du Roi en quelque sorte, et lorsque les troupes sont consignées dans les casernes ? L’électeur serbe n’a pas une assez grande confiance dans l’efficacité du gouvernement parlementaire pour s’exposer à ce qui pourrait advenir d’une pareille attitude.

Le roi Milan s’est donc débarrassé des radicaux, au moins dans la Skoupchtina ; mais il n’est pas complètement maître des libéraux, et ceux-ci sont 112. Il est vrai que la Couronne nomme 64 députés, qui, ajoutés aux 62 progressistes, font 126. Les libéraux n’en forment pas moins une masse nombreuse et compacte. L’homme le plus important de ce parti est M. Ristitch, l’ancien régent, qui n’a pas pardonné au roi Alexandre la façon cavalière dont il a fait contre lui le coup d’État de 1894. M. Ristitch, qui se croyait le maître, a été mis de côté du jour au lendemain, dans des conditions doublement pénibles pour lui : on n’aime pas à être à la fois sacrifié et un peu ridiculisé. Il a donc une revanche à prendre. On assure qu’il s’entend pour le moment avec le roi Milan, et qu’ils ont partie liée ; mais on ne sait pas laquelle, et rien n’est moins sûr que la fidélité réciproque des deux partenaires, du roi Milan envers M. Ristitch, ou de M. Ristitch envers le roi Milan. A la moindre divergence d’intérêts, ils se sépareront, et comment prévoir lequel des deux sera le plus fort, ou le plus adroit ? L’attitude de la Russie mérite d’être remarquée au milieu de ces intrigues. Naturellement, la Russie est mécontente, et elle ne se gêne pas pour manifester ce sentiment. Elle n’est pour ainsi dire pas représentée à Belgrade. Son ministre, M. Jadowsky, et son attaché militaire, le colonel de Taube, ont pris un congé qui s’est déjà prolongé longtemps et qui paraît devoir se perpétuer indéfiniment. La légation russe est gérée par un simple secrétaire. Cette situation n’est pas bonne ; elle est artificielle et tendue ; elle risquerait, si on n’y veillait avec soin, d’amener des complications imprévues. Personne ne les désire, ni l’Autriche, ni la Russie, et l’une