Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/124

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

région des chutes sont trois rivières françaises, la Sangha, la Likouala et l’Alima.

Il faudrait, pour animer cette esquisse géographique, de grands paysages représentant la nature étrange de ces contrées. C’est d’abord la région des savanes aux graminées gigantesques, avec ses arbres disposés en bouquets ou alignés le long des cours d’eau, région que les explorateurs comparent à un parc ; puis, au centre de la plaine africaine, entourée par la zone des savanes, l’immense forêt équatoriale presque impénétrable au soleil, luxuriante d’une végétation dense et humide. Ces sites magnifiques ont arraché à l’utilitaire et dur Stanley un cri d’admiration qui est un véritable hymne à la nature tropicale. « Pays enchanteur, à quoi pourrai-je comparer le charme sauvage de ta nature libre et féconde ? L’Europe n’a rien qui puisse te ressembler. Ce n’est que dans la Mingrélie et dans l’Inde que j’ai trouvé ces rivières écumantes, ces vastes forêts aux rangées solennelles de grands arbres, dont les colonnes droites et nues forment ces longues perspectives que vous avez ici. Et quelle puissance, quel luxe de végétation ! La terre est si généreuse, la nature si séduisante qu’on s’attache à toi en dépit des effluves mortels qui se dégagent de ton sol. »

Il faudrait aussi, dans quelque estampe suggestive, représenter le Congo, « la grande eau », ce fleuve de 40 kilomètres de large, tout parsemé d’îles boisées et que notre imagination a peine à concevoir. Brazza demeure anéanti par l’émotion lorsqu’il arrive la nuit pour la première fois sur ses bords. Le grand explorateur, le visage brûlé par le soleil, réduit par la fièvre et les privations à la dernière maigreur, pieds nus, le corps vêtu de lambeaux, marchait nuit et jour avec une indomptable énergie à la recherche du grand fleuve que les indigènes, depuis quelques jours, lui avaient dit être peu éloigné. « Plusieurs fois égaré, raconte-t-il, me croyant perdu, je commençais à menacer mon guide, lorsque, à 11 heures du soir, après une dernière marche forcée, ma vue s’étendit tout à coup sur une immense nappe d’eau dont l’éclat argenté allait se fondre dans l’ombre des plus hautes montagnes. Le Congo, le mystérieux fleuve, venant du nord-est, apparaissait comme l’horizon d’une mer et écoulait majestueusement à mes pieds ses flots miroitans, sans que le sommeil de la nature fût troublé par le bruit de son tranquille courant. »