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Congo ; il tend à supplanter l’ivoire et sera difficilement détrôné par les matières oléagineuses et même par le café et le cacao. On connaît les applications innombrables de ce produit dans l’industrie moderne. Que deviendraient les constructeurs de bicyclettes et d’automobiles, que deviendraient les électriciens s’ils n’avaient pas le caoutchouc ? Les lianes dont on extrait en Afrique cette utile matière ont de 15 à 20 centimètres à la base ; elles se divisent près du sol en plusieurs tiges, qui se subdivisent elles-mêmes, enlaçant les grands arbres, montant, descendant, reprenant racine, et de telle sorte que la même plante s’étend parfois sur des centaines de mètres. Cette végétation sarmenteuse leur donne l’aspect de vignes gigantesques.

Les principaux modes d’exploitation du latex sont l’abatage de la plante ou la saignée au moyen d’une incision peu profonde. Depuis la fondation de l’Etat Indépendant, des mesures énergiques ont été prises pour empêcher la destruction des lianes à caoutchouc par le procédé barbare de l’abatage, et un décret royal, rendu en 1892, a rendu obligatoire l’incision de la plante. Les sociétés commerciales sont tenues de désigner des inspecteurs chargés d’assurer l’exécution de cette mesure dans les territoires qui leur ont été concédés. L’incision doit être pratiquée légèrement, autant pour ménager la plante que pour éviter le mélange du latex avec les sucs du cœur qui renferment des matières volatiles. Quand cette opération est bien faite, les plantes reprennent bientôt assez de vigueur pour supporter une autre incision.

Le latex s’écoule de l’arbre à l’état fluide ayant la densité d’une crème ; exposé à l’air, il se fonce et durcit progressivement. Cette phase de l’exploitation du caoutchouc est la plus délicate, car c’est d’elle que dépend la qualité de la gomme ; il faut que la coagulation du latex se fasse lentement, en emprisonnant le moins possible d’eau et de matières étrangères. Les noirs, pour arriver à ce résultat, emploient un procédé bizarre : ils vont tout nus dans la forêt à caoutchouc, sans emporter le moindre récipient ; ils coupent alors les lianes et, au fur et à mesure que le suc coule, ils le reçoivent dans leurs mains et se l’appliquent sur la peau. La chaleur naturelle de leurs corps et l’exposition à l’air amènent une lente évaporation du latex qui se coagule et forme un enduit pâteux ayant une certaine cohésion. Rentré dans son village, l’indigène se frotte les mains avec du sable pour se racler la peau et en arracher le caoutchouc qu’il pétrit en boules. D’autres fois, les