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à la Belgique tous les avantages d’une colonie, sans lui en donner les charges, que le régime de la liberté commerciale n’empêcherait pas la Belgique d’être maîtresse du marché congolais par la force même du lien qui l’unissait au royaume africain. Quelques congolâtres ajoutaient encore à ces argumens des considérations morales qu’ils développaient dans un langage presque ridicule à force d’exaltation. Le Belge, à les entendre, menait une existence flasque et terne entre ses frontières exiguës défendues par la neutralité ; il fallait lui donner de l’idéal et de la gloire. Heureux les vaillans qui étaient tombés pour la belle cause dans les plaines du Congo ! « Pourquoi, s’écriait le sénateur Edmond Picard, pourquoi tant de soucis de ceux pour qui le danger et la mort sont des besoins sacrés qu’ils envisagent avec la belle taciturnité du courage ? Qu’est-ce que cette manie de soustraire le Belge à quelque héroïsme et de le rendre malgré lui lâchement amoureux du bien-être ? » Enfin, ceux que la question du Congo laissait indifférens, — et ils étaient en petit nombre, — se livraient à d’innocentes plaisanteries sur l’union personnelle des deux couronnes, et l’on prétend même qu’un Bruxellois, facétieux comme un Parisien, charbonna près d’une des portes du palais royal cette satirique inscription : « Sonnez deux coups pour le Congo. »

A voir l’accueil fait par l’opinion au principe de l’union personnelle, il est évident que l’éventualité d’une annexion du Congo à la Belgique eût, à cette époque (1885), soulevé dans la nation les plus vives protestations. L’œuvre du roi Léopold avait encore de dures épreuves à traverser, avant d’être appréciée par ses sujets belges. Le nouvel Etat, en pleine voie d’organisation, avait déjà absorbé bien des millions ; la fortune royale et la liste civile étaient employées tout entières à doter son budget : il fallait au roi des ressources pour soutenir son œuvre africaine et réparer sa fortune personnelle ; l’heure des entreprises était sonnée : les financiers et les hauts banquiers remplacèrent dans l’entourage du roi les explorateurs, les géographes et les philanthropes. C’est alors (1886-1887) que se fondèrent coup sur coup à Bruxelles les grandes compagnies commerciales : Compagnie du Congo pour le commerce et l’industrie, Compagnie des magasins généraux du Congo, Société anonyme belge pour le commerce du Haut-Congo, Compagnie des produits du Congo, etc. Chacune de ces compagnies a son but bien défini et son capital propre, mais elles sont inféodées plus ou moins à l’Etat Indépendant et