Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Certes ! j’aurais voulu le faire plus tôt ; mais… non licet omnibus adiré Corinthum ! Et la puissante Revue, qui est un peu de Corinthe, me tenant sa porte hermétiquement close, m’obligea, pour pénétrer chez elle, à prendre un long et difficile chemin.

On se demande peut-être pourquoi, parmi les centaines d’articles qui ont paru sur Frédégonde, j’ai tenu à répondre spécialement à celui de M. Jules Lemaître. MM. Sarcey, Faguet, Fouquier, Segond, Claveau, Bauër, Brisson, etc., ne s’en étaient-ils pas occupés tout aussi bien que leur célèbre confrère ? Pourquoi donc lui, et non pas eux ?

Parce que, de tous les jugemens qui ont été portés sur mon œuvre, il n’en est pas qui lui ait été aussi dur que celui de M. Jules Lemaître. Il est rare que, dans un gros ouvrage, premier essai d’un débutant, le critique le plus sévère ne trouve pas un petit coin où exercer son indulgence. Avec M. Lemaître, tout y passe : la pièce, le théâtre qui l’a reçue, les acteurs qui l’ont jouée, et le public qui parut y prendre quelque plaisir.

La pièce ? dit M. Jules Lemaître, « c’est le plus étonnant exemplaire du vieux drame en vers dans toute sa poncive horreur ! »

La Comédie ? il la qualifie « de tréteau », de « tréteau littéraire », il est vrai ; mais quels trésors d’ironie ne répand-il pas sur le Comité coupable d’avoir reçu Frédégonde avec « tant d’enthousiasme ! »

Quant aux interprètes, il se borne à constater le « comique irrésistible » de M. Leloir, les « grâces niaises » de Mlle Bertiny, les « rugissemens » de M. Paul Mounet, le « bredouillement » de M. Albert Lambert fils, les « zézaiemens » de Mlle Dudlay, enfin les « gestes de jeteur de lasso et les reniflemens sublimes » de M. Mounet-Sully !

Le public n’est guère mieux traité : M. Lemaître revient à plusieurs reprises sur sa « facilité à être dupé », sur l’état contristant de « son niveau intellectuel », et sur cette « inattention voisine de la sottise » qui le fait éclater en « furieux applaudissemens » aux endroits où lui, Jules Lemaître, reste absolument froid…

On le voit, rien ni personne n’est épargné. C’est une exécution en masse.

J’ai pensé que la haute personnalité de M. J. Lemaître, membre de l’Académie, rédacteur attitré de la Revue des Deux Mondes, ne me permettait pas de garder un silence qui, aux yeux de quelques-uns, pourrait être attribué ou à un sentiment d’extrême dédain ou à un sentiment d’extrême prudence — ce que je ne veux ni pour lui ni pour moi.

Qu’il ne se hâte pas d’en conclure que sa prophétie s’est réalisée et