qu’un « vieil original », un peu faible de caractère et d’ailleurs excellent homme.
Or ce vieil horloger rêvasseur cache au fond de son âme un secret terrible ; et la placidité philosophique de ce Chrysale de la bijouterie recouvre la plus surprenante force d’âme et le plus singulier héroïsme dans la bonté. Lebonnard a une fille, Jeanne, et un fils, Robert. Du moins Robert passe pour son fils, mais il est né des amours de Mme Lebonnard avec un gentilhomme des environs. Une lettre égarée a révélé ce secret à Lebonnard, il y a quinze ans. Et, pendant quinze ans, il s’est tu, d’abord pour sa fille, mais aussi pour l’enfant qui n’est pas son fils : car, étant bon, il n’a pu s’empêcher d’aimer l’innocent par qui il souffrait :
- Par de grandes douleurs je suis resté son père.
Or Robert doit épouser une belle demoiselle, Marthe d’Estrey ; et Jeanne est fiancée à un jeune médecin, le docteur André, qu’elle adore. Mais on découvre que le docteur André a de sérieuses chances d’être un enfant adultérin, sa mère ayant eu des « histoires », et qui ont été publiques. Et les d’Estrey de se jucher sur leurs quartiers de noblesse, et sur les convenances, et sur les préjugés sociaux. Cette idée leur est insupportable que leur gendre puisse avoir pour beau-frère un garçon dont la mère a eu jadis un amant. « Pas de bâtard dans notre famille ! » Si Jeanne épouse André, Robert n’épousera pas Marthe.
Alors, pour la première fois de sa vie (car il s’agit du bonheur de sa fille, qui est sa seule joie), Lebonnard s’insurge. Le mouton se révèle bon pour défendre ce qu’il aime. Il parle si haut et si ferme, que sa femme, suffoquée d’étonnement, le menace de quitter la maison. — Oh ! dit-il, c’est cela qui m’est égal à présent 1 Ma fille a trouvé le mari qu’il lui faut. Que m’importe le reste ?
- Avant cela, j’ai su me taire et ne rien voir,
- Et trembler devant vous, vous redoutant pour elle.
- Au risque d’étouffer, j’étouffais la querelle,
(Est-ce que ce vers vous parait très bon ? )
- Et, quinze ans, je vous ai pardonné votre amant.
Et il lui apprend qu’il sait que Robert n’est pas de lui. Et il vide son cœur. Et, comme elle nie et fait l’insolente ; il la saisit par les poignets, la secoue et l’envoie s’affaler dans un fauteuil. Ah ! mais !…
Et la scène est bonne. Mais voici « la belle scène » que je vous ai annoncée. Robert accourt au bruit. C’est un petit jeune homme vaniteux comme sa mère et dressé par elle à « blaguer » son bonhomme de