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La droite, en revanche, a approuvé le gouvernement, ne s’est pas opposée à la politique de réformes démocratiques, ni à l’union des républicains, mais n’a pas poussé la complaisance jusqu’à s’exclure elle-même des futures majorités ; et, sur l’ensemble, comme il portait approbation du gouvernement qu’elle ne désapprouvait qu’en un point, elle a, en grande partie, voté l’ordre du jour qui lui notifiait son exclusion. — Et M. Méline, qui se trouvait déjà en majorité de 27 voix, grâce à la droite, en minorité de 49 par la faute de l’extrême gauche, s’est retrouvé, grâce à la droite qui ne comptait plus, en majorité de 12 voix : 284 contre 272. — Aussi a-t-il résolu d’offrir à M. le Président de la République la démission du cabinet, que M. Félix Faure n’a point balancé une minute à accepter.

Et voilà une doctrine posée : la droite ne compte pas ; elle est à tout jamais exclue de la majorité ; un ministère qui ne se soutient que par elle ou avec son appoint ne tient pas ; un ministère qui n’est renversé que par elle ou avec son appoint n’est pas à terre ; est-ce bien ce que la Chambre a voulu dire ? et, si c’est ce qu’elle a voulu dire, il faut qu’on sache tout ce que cela veut dire. Cela veut dire que non seulement la France est à jamais coupée en deux ; que tout effort de pacification est à jamais condamné ; que la pensée même en est odieuse ; mais qu’on fait dans la « souveraineté nationale » et dans le « suffrage universel » deux parts : l’une qu’on accapare et qui est tout, l’autre qu’on ne peut accaparer, mais qui n’est rien. Cela veut dire que, de même que les constitutions révolutionnaires distinguaient entre les citoyens actifs et les citoyens passifs, de même la troisième République, selon le cœur des radicaux, distinguerait entre des députés actifs, — eux-mêmes, — et des députés passifs, — les autres, — qui ne seraient que comme les représentans sacrifiés d’électeurs de seconde classe. Cela veut dire que ces citoyens de seconde classe ont le droit de payer tous les impôts et de supporter toutes les charges, mais qu’ils n’ont pas le droit d’en faire, par des mandataires de leur choix, contrôler l’emploi et surveiller la répartition ; que l’on disposera d’eux sans eux, malgré eux, et contre eux, parce qu’ils ont commis le crime de préférer le blanc ou le rose au rouge vif. Cela veut dire que de leur argent, sans qu’ils puissent souffler mot, on entretiendra, en de grasses ou de maigres sinécures, selon les « services » qu’ils ont rendus et ceux surtout que l’on en attend, les frères des amis, les amis des frères et les amis de ces amis. Cela veut dire que le parti républicain, ou la majorité de ce parti dans la Chambre, est incapable de concevoir le gouvernement autrement que comme un combat qui ne doit