Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/331

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

quelques-uns de ces petits forts furent immortalisés par d’héroïques résistances. Témoin Daulac qui, avec seize de ses compagnons, des jeunes gens de Montréal, et cinq ou six sauvages dévoués, barra le passage aux Iroquois partis pour assiéger Québec en 1660. Le fort du Long-Sault où ils se retranchèrent n’était qu’une méchante palissade, de construction indienne. Il tint néanmoins dix jours entiers et les Iroquois en l’emportant n’y trouvèrent que des cadavres, mais cette longue défense d’une poignée de braves sans vivres, mal retranchés derrière de simples pieux contre sept cents agresseurs, les découragea de s’attaquer aux murailles et à la garnison de Québec. Daulac triompha donc au prix accepté par lui et par ses camarades, le jour où, avec le consentement du gouverneur Maisonneuve, ils avaient, après une communion publique, fait le sacrifice de leur vie. Peut-on s’étonner de la valeur des milices qui comptaient dans leurs rangs des hommes de cette trempe ?

Le goût de l’aventure s’ajoutait et s’ajoute encore au courage chez tous les Canadiens ; peu capables de persévérance dans le travail, ils trouvent plus de plaisir à chasser qu’à conduire la charrue, et l’intimité des premiers colons avec les Indiens dont ils partageaient les goûts s’explique ainsi. C’est un des traits qui établissent une différence fondamentale entre les commencemens de la Nouvelle-France et ceux de sa proche voisine, la Nouvelle-Angleterre. Jamais les Anglais ne se familiarisèrent avec les aborigènes, ils n’eurent jamais d’eux le moindre souci, les refoulant, les supprimant aussitôt qu’ils le pouvaient, maintenant toujours d’implacables distances entre ces vaincus et la race victorieuse. L’Indien, sous le joug anglais, n’avait aucuns droits reconnus ; les Français pratiquèrent à son égard un système tout différent où la charité entrait pour beaucoup. Il ne faut pas oublier que l’occupation du Canada impliquait un ministère religieux à remplir envers des peuplades barbares et dégradées. Or, c’était simplement la liberté de penser à leur guise qu’étaient allés chercher les puritains rebelles au despotisme du gouvernement et de l’église établie de leur pays. L’esprit des deux colonies était donc absolument opposé : d’un côté, aristocratique et militaire ; de l’autre, civil et commercial. Dès les premiers temps de leur installation sur le rocher de Plymouth, les Américains de l’avenir se proposèrent d’agir en dehors de la métropole, de se gouverner seuls le plus possible et à tout risque ; tandis que les