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gens de la Nouvelle-France, bien éloignés de toute initiative, attendaient l’ordre du roi et vivaient sous l’influence directe du prêtre. L’autorité de celui-ci, selon la politique de Louis XIV, devait faire contrepoids aux autorités civiles, de même que la puissance occulte de l’intendant tenait en échec la suprématie déclarée du gouverneur, tous ces pouvoirs étant d’ailleurs réunis dans sa main paternelle et royale. Il s’ensuivit pour les trafiquans et les pêcheurs de la Nouvelle-Angleterre, renforcés par l’affluence toujours grossissante de l’immigration, une ère de prospérité rapide ; pour la Nouvelle-France au contraire, que le roi craignait de peupler au détriment de la mère patrie, une colonisation très lente, une dépendance absolue, et une pauvreté qui, d’ailleurs, à défaut de puritanisme, fut longtemps la gardienne des mœurs.

Pendant que les Pères pèlerins, uniquement préoccupés de gain et de liberté, réussissaient à vivre par leurs propres forces, les Français du Canada, ne songeant qu’à l’honneur, ambitieux de places, de commandemens, de titres, se bornaient en fait de besogne manuelle à l’agriculture. Le roi jugeait que les industries coloniales pourraient faire tort aux industries françaises. Non pas qu’il défendît le commerce ; il avait même décrété que ses gentilshommes pourraient s’y livrer sans déroger, mais c’était avec des restrictions telles que les tentatives naissantes se trouvaient aussitôt paralysées. Les femmes et filles d’habitans, aussitôt pourvues de métiers à tisser, fabriquèrent d’excellentes étoffes dont on use dans le pays aujourd’hui encore ; Mme de Repentigny, femme du brave officier de ce nom, avait appris de prisonniers anglais achetés aux sauvages l’art de filer le coton ; elle inventa de faire de la toile avec de l’ortie et avec de l’écorce de bois blanc ; toutefois les Canadiens n’avaient le droit de tisser que pour leurs besoins personnels. Le commerce unique, celui qui absorbait l’activité de la colonie, était celui des fourrures. Il y avait à Tadoussac, à Trois-Rivières, à Montréal des foires où les sauvages apportaient les peaux de bêtes tuées pendant l’hiver, la Compagnie des Cent Associés possédant le monopole de la traite. On ne put empêcher cependant, vu la pauvreté générale, les hommes jeunes et actifs de la colonie, de se faire une ressource de la chasse et de trafiquer directement avec les Indiens. Pour régulariser le mal, Louis XIV, qui suivait très attentivement dans les moindres détails tous les gestes de ses lointains sujets, accorda des patentes