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visibles et les choses invisibles, son chant subit l’action de tout ce qui l’entoure, climat, habitudes, circonstances. En écoutant le peuple canadien on devine sa piété, sa simplicité, sa foi profonde[1]. »

Tandis que j’évoque avec un souvenir reconnaissant et doux cette « soirée de Québec », il me semble entendre encore le chœur à trois voix qui me fut chanté par l’auteur et par ses filles, très bonnes musiciennes, mais sans plus de prétentions d’ailleurs que n’en doivent avoir les rossignols :

Courez, joyeux cortège, raquette agile, traîneau léger,
Sur l’éclatante neige, laissez-vous emporter, gai !
Ah ! qu’avez-vous la belle, lon gai !

Et je suis prête à dire dans notre Paris devenu si cosmopolite : — J’étais alors en France.

La société de Québec garde toujours le même agrément dont parlent Kalm et le Père de Charlevoix : parties de promenade, l’été en calèche ou en canot, l’hiver en traîneau ou en patins, palais de glace bâtis à l’occasion du carnaval. Dans ce temps-là les femmes de gouverneurs, d’intendans, de personnages officiels avaient des salons où l’on se rappelait l’étiquette de Versailles, mais, grandes réceptions à part, l’hospitalité était comme aujourd’hui générale. La pauvreté même, à en croire le Père jésuite, se cachait sous un air d’aisance parfaitement naturel, chacun jouissant du peu qu’il possédait et souvent se vantant de ce qu’il n’avait pas, au lieu que dans les colonies anglaises existait une réelle opulence dont personne ne semblait savoir jouir. Ceci se rapporte bien à ce que nous dit une personnalité brillante de la société québecquoise, M. le juge Routhier[2] : « Québec est encore la ville où l’on prend la vie par le meilleur côté. On n’y fait guère fortune, on n’y déploie ni faste, ni luxe, mais on y vit bien, tranquillement, gaiement, sagement. Le talent y est plus considéré que l’argent, la position sociale y domine la richesse. » L’amour exagéré de la politique, ajoute-t-il cependant, est un défaut québecquois. — Cela ne pouvait manquer dans un pays où il est sans cesse question de suffrage, dont les citoyens sont appelés à voter quatre à cinq fois l’an. Et tous les jeunes gens qui ont fait « leurs classes » au séminaire, s’ils ne deviennent pas prêtres, sont avocats ou notaires, graine de députés. Sur la plupart des

  1. Chansons populaires du Canada, recueillies par Ernest Gagnon ; Darveau, éditeur, Québec, 1894.
  2. Le Québec à Victoria, par A.-B. Routhier ; Québec, 1893.