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Il est impossible d’avoir plus d’aisance gracieuse et modeste que n’en montrent les pensionnaires qui me sont présentées en masse dans la grande salle du premier étage, dont une estrade occupe le fond. Je devrais dire plutôt un théâtre, car cette jeunesse est groupée devant un décor qui représente le château de Chillon. Je suis accueillie par des chants, des complimens, des révérences, des bouquets, une gentillesse sans mélange de timidité. Cette grande famille de jeunes filles, aux ceintures de diverses couleurs, toutes fraîches et bien portantes, reçoit assurément l’éducation la plus saine qui puisse être donnée à des mères de famille futures. Rien ici, pas plus qu’à Villa-Maria, quoique l’élégance et la recherche soient poussées moins loin, ne suggère l’idée d’une prison, ni même d’un cloître ; c’est une admirable maison de campagne dont les fenêtres ouvrent sur de beaux horizons ; on ne peut pas, comme à Villa-Maria, décidément américanisée, avoir des chambres particulières, mais les dortoirs si blancs ont des lits séparés par des rideaux qui forment un cabinet de toilette ; les classes sont organisées d’après les systèmes les plus hygiéniques, le réfectoire communique avec une jolie serre remplie de fleurs, véritable jardin d’hiver. Je suis conduite à travers le parc par de charmantes personnes, non pas muettes et un peu gauches, mais prêtes à causer, s’intéressant à tout. Je crois que la présence du digne chapelain, qui s’occupe d’elles comme un vieillard bienveillant et lettré sait s’occuper des jeunes intelligences en les élevant par de paternelles conversations, est pour beaucoup dans leurs progrès.

Ce qui m’a extrêmement intéressée dans tous les couvens que j’ai visités à Québec, c’est le contraste des doubles classes faites en anglais et en français par les religieuses des deux nations. L’enseignement est le même, mais entre les professeurs comme entre les élèves, il y a des différences aussi marquées dans les qualités de l’esprit que dans le type extérieur : je ne sais quoi de plus raide et de plus décidé à la fois chez les Anglaises, une grande prédilection pour les sciences, les sciences naturelles surtout ; qualités de style plutôt chez les Françaises.

Je me rappelle avoir entendu à l’académie des Sœurs Grises la lecture d’une série d’improvisations dont quelques-unes me frappèrent. Ce ne fut pas seulement, je dois le dire, par la forme, ce fut d’abord par le fond. Six fois sur dix au moins s’y trahissaient des aspirations plus ou moins nettement déclarées vers la vie