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conducteur de cage sur le Saint-Laurent, où le patois de Normandie, les mots de vieux français revenaient à chaque ligne. On se sépara fort tard, sans se douter de l’heure avancée. Ce sont des maisons telles que celles-ci dont les plaisirs délicats font rêver les jeunes dames catholiques de Montréal. Bientôt, je n’en doute pas, elles auront des bibliothèques, des soirées littéraires, elles échapperont dans une certaine mesure au joug qui, si longtemps, a pesé sur elles et que certains esprits avancés commencent à traiter d’obscurantisme. Le clergé, qui a tant fait à travers les siècles pour le Canada, n’attendra pas qu’on le dépossède d’une part d’autorité qui, jadis utile à tous, tend à devenir excessive. Il consentira spontanément au sacrifice, — sacrifice plus difficile qu’aucun autre, car partout nous voyons les maîtres, les parens, tous ceux qui ont exercé une autorité sans contrôle pour le bien des faibles et des ignorans, hésiter, l’heure venue, à leur laisser le gouvernement d’eux-mêmes. Cependant c’est la fin et ce devrait être le but de toute éducation.

Le contact du self government britannique a nécessairement agi sur le Canada. Croirait-on que le premier journal date de la conquête anglaise ? Auparavant on n’éprouvait le besoin de rien imprimer ni de rien lire. Au point de vue esthétique, c’était plus beau et beaucoup plus original, cette grande pastorale paisible traversée d’un souffle d’épopée ; mais il n’y a pas à réagir contre le progrès quand une fois son action a commencé. A en juger par le passé, encore si proche, et par ce qui reste aux Canadiens, même à ceux des villes, de leurs qualités natives, ils ne prendront pas le mors aux dents, ils suivront le sage conseil de leur historien Garneau. Que les Canadiens, dit Garneau en abrégé, soient fidèles à eux-mêmes, qu’ils restent sages et persévérans, que le brillant des nouveautés sociales et politiques ne les séduise pas. C’est un peuple de cultivateurs dans un climat rude et sévère. Depuis la conquête, il a fondé toute sa politique sur sa propre conservation. Il était trop peu nombreux pour prétendre se mettre à la tête d’un mouvement quelconque à travers le monde. Une partie de sa force vient de ses traditions. Qu’il ne s’en éloigne que graduellement. N’est-il pas sorti surtout de cette Vendée normande, bretonne, angevine, dont l’admirable courage a couvert de gloire le drapeau qu’elle leva au milieu de la Révolution française ?

Certes les Canadiens sont bien loin d’oublier ce drapeau ; voyez plutôt, dans la cathédrale de Montréal, l’espèce de piété qui