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Les pouvoirs publics, malgré leur ingérence minutieuse, finissaient toujours par capituler. Lorsque les bouchers qui « refusaient de tuer » étaient demeurés quelques jours sous les verrous, l’autorité se voyait forcée d’en venir à composition et le prix de la viande se trouva ainsi, à travers mille disputes, exactement ce qu’il eût été, s’il n’avait dépendu que de la libre volonté des marchands et des acheteurs.

Le prix moyen des bœufs, vaches et taureaux passa de 56 francs, sous Henri IV, à 84 francs, sous Louis XIV, pour redescendre à 69 francs, dans les dernières années de ce règne. À partir de 1750 il ne cessa de hausser, de sorte que sa valeur ressort à 105 francs, à la fin de Louis XV et à 140 francs, au moment de la Révolution. Mais le prix des bêtes sur pied ne signifie pas grand-chose, parce que le progrès de l’engraissement les modifia de façon que les bœufs de 1790 n’avaient, avec ceux de 1025, de commun que le nom. Les vaches à lait avaient beaucoup moins haussé. Elles valaient, sous Louis XVI, de 50 à 70 francs en Normandie, et moins encore en Berry ou en Bretagne, tandis que des bœufs gras atteignaient alors 250 et 300 francs. C’est le prix du détail qu’il faut uniquement considérer, le kilo de viande étant seul une marchandise nettement définie. En Angleterre, au XVIIe siècle, les bœufs sur pied valaient deux fois plus qu’en France ; la viande pourtant n’y était pas plus chère, la quantité fournie par chaque animal étant sans aucun doute plus grande. La plus-value du bétail sur pied fut de 150 pour 100, de Henri IV à Louis XVI, tandis que l’augmentation de la viande n’est que de 80 pour 100. Il a fallu, pour qu’un pareil écart se produisît, que l’embonpoint de l’espèce se fût, d’une date à l’autre, accru de moitié.

Cet accroissement n’a pas eu lieu de façon régulière : mis en regard des prix du bétail vivant, ceux du kilo débité révéleront les progrès ou les reculs de l’agriculture. Ainsi, de Richelieu à Colbert, tandis que la hausse est de 33 pour 100 par tête de bœuf ou de vache, elle n’est pas supérieure à 5 pour 100 sur le taux de la viande ; dans les années suivantes, la viande baisse et le bétail vif ne diminue pas. Le changement de rapport des prix entre eux ne s’explique que par l’existence, à la fin du XVIIe siècle, d’animaux plus gros, le poids vif représente 139 kilos en 1640,177 kilos en 1670,202 kilos en 1685. Un mouvement inverse se produit dans le premier quart du XVIIIe siècle : le kilo de bœuf monte, tandis