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que le bœuf sur pied descend ; l’animal a donc perdu de son volume.

Les prix de la viande au détail varient naturellement moins que ceux des bêtes sur pied : cependant, le kilo de bœuf, pour l’armée, est évalué en France à 24 centimes (1629), et celui que l’évêque de Soissons paye à son boucher vaut 62 centimes. Il est des vaches de 22 centimes le kilo, en Bresse et des bœufs, à 84 centimes, en Limousin. Le cardinal de Richelieu s’engage, par contrat avec son fournisseur (1633), à payer la langue de bœuf 2 francs le kilo ; cependant, à Marseille, on l’achète, pour les galères, à la même époque, à raison de 30 centimes. La viande était beaucoup plus chère en hiver qu’en été ; sans doute parce qu’en hiver, les bestiaux étaient plus maigres et les paysans, pour ce motif, moins disposés à s’en défaire : une ordonnance municipale taxe le kilo de bœuf à 28 centimes, « de juillet à décembre, et à 40 centimes, de janvier à juin. »

De pareils écarts sont inconnus de nos jours ; mais il se trouve encore sur notre territoire, suivant les villes, la qualité des sujets et le choix des morceaux, du bœuf à 0 fr. 80 et du bœuf à 4 fr. 50 le kilo. La « viande pour les pauvres » de l’hospice, à Clermont-Ferrand, est cotée 0 fr. 22 (1772) ; celle qui est servie aux employés coûte 0 fr. 40. La même année, à Rouen, le bœuf est vendu par les « bouchers de ville » 1 fr. 27 le kilo et, par les « bouchers forains, » 0 fr. 85 ; à coup sûr, ce n’est pas la même viande. Au marché actuel de la Villette, il se négocie, le même jour, des taureaux qui ressortent à 1 fr. le kilo, en « viande nette, » et des bœufs dont la chair revient à 1 fr. 90. Le veau, le mouton, le porc même, valaient plus cher que le bœuf. Le lard était toujours à un taux très différent des autres parties du cochon, tandis qu’aujourd’hui, le gras et le maigre sont d’un prix semblable. C’est là un point fort important, puisque la classe rurale de nos jours se nourrit surtout de lard : sous Louis XIV, lorsque le porc frais valait 0 fr. 54 le kilo, le lard coûtait 1 fr. 10 ; lorsque le porc baissa à 0 fr. 42 (1 700), le lard se vendait encore 0 fr. 90. La distance se maintient au XVIIIe siècle ; elle ne s’atténue que vers la fin de l’ancien régime.

Que la viande de boucherie ait complètement disparu de l’alimentation des classes laborieuses, durant les deux derniers siècles, voilà qui semble assez singulier, puisque le salaire du manœuvre d’autrefois, comparé au prix des denrées de cette sorte,