Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/453

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Champagne mousseux, qui se vendait 1 fr. 60 la bouteille à Paris, par « mannequin de 100 flacons, » vers la fin du règne de Louis XIV, valait 2 fr. 25 en 1751 et jusqu’à 3 francs en 1790. Le bordeaux, dont la vogue était récente, puisqu’il avait toujours été défendu jusqu’en 1763 d’en servir sur la table royale ; le bordeaux, qui, longtemps, n’avait été connu en France que sous les noms génériques de « blaye » ou de « libourne, » voyait au moment de la Révolution ses « châteaux » de Laffite et de Latour cotés 160 francs l’hectolitre dans la capitale.

De toutes les denrées qui précèdent, l’offre et la demande réglaient plus ou moins la valeur : le sel, au contraire, était plutôt un impôt qu’une marchandise, puisqu’il arrivait, par suite des droits, à coûter au public 30 fois plus que le fermier des gabelles ne l’achetait aux salines. En certains districts, du moins, car la taxe était singulièrement inégale. Le royaume se divisait en catégories, dont les unes — pays de francs-salés — payaient peu ou point, dont les autres supportaient une charge écrasante. Ces territoires diversement grevés étaient si enchevêtrés les uns dans les autres que, pour réprimer la fraude, l’administration financière fut amenée à établir une aggravation nouvelle, les « greniers d’impôt, » dans le voisinage des régions privilégiées.

Là, les habitans étaient tenus de prendre tous les ans une certaine quantité de sel et, « s’ils ne le vont quérir, on le porte chez eux et on les contraint de le payer, même par emprisonnement de leur personne. » En principe, les laboureurs dont la cote de contribution directe était inférieure à 3 francs pouvaient se soustraire au sel obligatoire ; en pratique, on les y soumettait. L’appréciation arbitraire des commis, prétendant savoir ce que chaque famille en doit absorber, ne permettant pas de l’économiser outre mesure et ne faisant pas grâce d’une once, soulevait des protestations amères. Pour l’ouvrier des provinces de « grande gabelle, » qui payait le sel 1 fr. 50 le kilo sous Louis XVI — soit 3 francs de notre monnaie — et en usait un ou deux kilos par mois suivant le nombre de ses enfans, cette seule denrée absorbait à coup sûr une part supérieure à 3 pour 100 du budget, part que nous estimons représenter de nos jours l’ensemble des dépenses d’épicerie dans un ménage rural. Il est vrai qu’en 1898 le manœuvre, dont le salaire a d’ailleurs triplé, n’achète son sel que 20 centimes le kilo.