Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/454

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
VI

L’histoire des prix du travail montre qu’ils n’ont eu aucune corrélation, ni avec le coût de la vie, — ce qui vient d’être dit pour l’alimentation est également vrai pour toutes les autres dépenses, — ni avec les progrès agricoles, mais que les salaires s’étaient proportionnés, jusqu’à notre siècle, au mouvement de la population et à l’étendue de terre disponible. Ainsi, le XVe siècle s’était signalé à la fois par l’enrichissement des possesseurs du sol et par un appauvrissement inouï des prolétaires. Ni l’adoucissement des mœurs aux temps modernes, ni l’affranchissement de la Révolution n’avaient pu remédier à cette décadence du bien-être populaire. On ne se souvenait même pas, en 1789, qu’il eût jamais existé pour l’ouvrier un état meilleur dans le passé, et l’on n’en concevait pas de plus avantageux dans l’avenir.

A la fin du premier tiers de notre siècle, est entrée en scène une force nouvelle : la Science. Elle a multiplié pour l’homme la faculté de produire les objets utiles ou agréables à l’existence, de telle sorte que le vieil équilibre entre la population, la terre et les subsistances s’est enfin trouvé rompu et que la hausse du taux des salaires a dépassé l’accroissement du nombre des bras. Le rôle de l’Etat, dans ces reculs ou ces progrès, a été nul : jadis, l’autorité ne s’occupait des salaires que pour les réduire et la loi, mise au service des consommateurs, était injustement plus favorable aux employeurs qu’aux employés. Volontiers elle pencherait maintenant dans l’autre sens. Toutefois, esclave hier, libre aujourd’hui, despote demain peut-être, le travailleur qui a connu dans le passé de bons et de mauvais jours, sans que l’Etat ait été pour rien dans les uns ou dans les autres, ne paraît pas pouvoir dans l’avenir, par sa volonté propre, influer sur le taux de la main-d’œuvre ; la preuve, c’est que les corporations fermées du moyen âge, elles-mêmes, n’ont pas réussi à procurer à leurs membres une condition meilleure que celle des ouvriers isolés : monopoles, privilèges ou entraves n’ont eu ni avantage ni inconvénient pour la rémunération des uns ou des autres.

Torturée par la Science, qui lui dérobe ses secrets un à un, la Nature se laisse approcher et se résigne enfin aux assauts qu’on lui livre. Nous avons forcé ses élémens à s’accoupler à notre guise, domestiqué le feu et l’eau, le sol et l’air, et mis