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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/465

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repliées dans leur pudeur silencieuse, elles ne savent que languir et mourir. La marchesina Cavalcanti est une de ces âmes-là. Confinée dans le palais désert, où ses vingt ans ont pour toute compagnie celle d’une vieille servante, elle va, dans le cercle de ses jours monotones, de sa chambre à la chapelle, de la chapelle au couvent voisin. Elle sait que sa mère est morte, victime de la manie féroce du marquis, et qu’elle, à son tour, en mourra. Mais l’idée ne lui vient même pas que ce soit son droit, peut-être son devoir de créature humaine, de se soustraire à cette tyrannie. Pliée à l’obéissance filiale la plus absolue, elle respecte aveuglément l’autorité paternelle. Ce père indigne exerce sur elle un terrible ascendant, faisant plier sa volonté d’un regard d’impérieuse fascination. Donc elle se borne à souffrir chaque jour davantage dans son cœur et dans ses nerfs. » Un son de voix la fait trembler, une émotion porte à ses joues subitement colorées le peu de sang de ses veines anémiées. Elle s’étiole dans l’ombre, elle tombe avant le temps, flétrie sur sa tige, cette fleur sans soleil sous le soleil napolitain.

Ce que nous suivons à travers ce récit de la lente agonie de Bianca Maria, c’est l’envahissement d’une âme par la contagion de la folie. Car la folie habite dans ces murs, et Bianca Maria en retrouve partout l’obsédante image : dans l’humeur bizarre du marquis alternant entre l’exaltation et l’abattement, dans les regards des cabalistes, seuls hôtes du palais, dans leur jargon mystérieux, qu’elle ne comprend pas, et qui lui paraît un langage d’aliénés. En parcourant ces pièces trop vastes, trop hautes et sonores, il lui arrive d’entendre derrière elle des frôlemens d’ombre, elle perçoit de profonds soupirs. Il lui semble qu’une main légère se pose sur son épaule, et folle de terreur, sans qu’un cri puisse sortir de sa poitrine, elle s’affaisse sur le sol, terrassée par une indicible épouvante. La peur, une peur énervante, s’est emparée d’elle, l’éveille de son sommeil, assiège ses insomnies. Ainsi commence à chanceler cette raison vacillante. Reste maintenant que le marquis la fasse sombrer dans ses propres aberrations. Car il est persuadé que Bianca Maria, l’innocente et pieuse enfant, doit avoir des visions. Il la supplie d’en avoir, d’évoquer l’esprit, et de lui demander la révélation qui sauvera la maison Cavalcanti. Il la soumet à d’absurdes privations, il la force à jeûner, il la torture de ses obsessions, usant tantôt de la prière et tantôt de la menace, il l’implore au milieu de la nuit, il s’agenouille, père devant sa fille, vieillard devant une enfant. Et elle, qui croit en Dieu, et qui ne croit pas à ces rêveries, elle en vient, gagnée par le souffle voisin de la folie, à voir