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l’esprit ; elle suit ses gestes, elle lui parle, elle répète ses paroles. Ce sont alors des poussées de fièvre suivies de longues torpeurs. Elle se rend compte au réveil des progrès du mal, auxquels elle assiste en témoin impuissant et désolé. Et nous-mêmes, nous sommes poursuivis par le souvenir de ces nuits tragiques où le délire de la fille répond au délire du père.

Mais d’où nous viennent ces histoires d’esprits, de fantômes, d’apparitions, ces jeux de la démence et de l’épouvante ? Qui donc voyait dans le « frisson de la peur » et dans le « sens du mystère » les signes où se reconnaît l’âme septentrionale ? Ces fantasmagories n’ont pas été conçues dans les brumes du Nord : elles sont nées sur les rives lumineuses d’une mer enchantée, dans l’atmosphère transparente des nuits méditerranéennes.

C’est de même un lieu commun de parler de la sensualité méridionale. L’Italie est une terre de volupté. C’est pourquoi Stendhal l’a célébrée : apparemment s’il se souvenait de Boccace et d’Arioste, il oubliait Dante et Pétrarque. Il est curieux que, dans ce roman de mœurs napolitaines, le principal épisode amoureux soit emprunté à la conception la plus épurée, la plus éthérée de l’amour. Pour avoir aperçu derrière une fenêtre le visage émacié de Bianca Maria, le docteur Amati en est devenu amoureux. Celui-ci est l’homme de science, le médecin, l’homme fort à la mode d’aujourd’hui. Il est d’esprit positif ; il a quarante ans ; il sait la vie ; et rien que d’avoir vu paraître au balcon ce délicat et pensif visage de jeune fille, il en a été remué jusqu’au fond de son être. Il a vu de loin la jeune fille, et pendant deux ans il lui a suffi de la voir. Il a deviné dans cette existence monotone et désolée un infini de souffrance ; c’est par-là qu’il a été conquis. On l’a appelé auprès de la malade pour la soigner ; et ce qu’il a éprouvé auprès d’elle, ç’a été un sentiment de pitié profondément tendre. Il a voulu la protéger, la rendre à la santé, à la joie, et ce désir a grandi en lui au point de devenir le plus puissant intérêt de sa vie. Une intimité s’est établie entre les deux amans, sans qu’un mot d’amour ait été prononcé. Car ils s’étaient reconnus, suivant la glose des mystiques. Et c’est des deux côtés le même amour idéal, où le cœur et la tête sont seuls engagés, et si noble, si désintéressé, si délivré de toute scorie charnelle, si différent de ce qu’on est convenu d’appeler l’amour, qu’on voudrait lui donner un autre nom et trouver un mot pour distinguer de la vulgaire émotion des sens cette claire flamme qui semble une parcelle du feu divin.

Nous pourrions prendre ainsi l’un après l’autre chacun des