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Wagner. Et combien d’autres cas semblables on pourrait citer !


Le livre de M. Weissheimer se trouve ainsi avoir une portée plus générale que celle que l’auteur a voulu lui donner : il nous montre combien de petits inconvéniens s’attachent au métier de grand homme, et à combien de hasards est exposée l’amitié. Mais ce n’est point là, sans doute, ce qui aura attiré sur ce livre l’attention du monde musical allemand. J’imagine plutôt qu’on aura été frappé du très grand nombre d’anecdotes et de détails curieux rapportés par M. Weissheimer sur la vie intime de Wagner ; et le fait est que, à ce point de vue aussi, ses Souvenirs sont parmi les plus instructifs qu’on nous ait offerts depuis de longues années. Non que M. Weissheimer ait été vraiment ce qu’on peut appeler un « ami » de Richard Wagner, comme l’ont été par exemple Liszt, Bulow, Rœckel ou Gobineau ; mais il a été son compagnon, son confident, durant une des périodes les plus importantes de sa carrière, et une de celles que, jusqu’ici, ses biographes ont le plus mal connues.

Il occupait, en 1862, l’emploi de second chef d’orchestre au théâtre de Mayence, lorsque Wagner vint s’installer dans un endroit voisin de cette ville, à Biebrich-sur-le-Rhin, pour y écrire le poème et la musique des Maîtres Chanteurs. Et bien que Wagner ne fût venu à Biebrich que dans l’espoir d’y travailler en silence, il ne tarda pas cependant à se lier avec son jeune confrère, qui d’ailleurs l’admirait fort, et n’épargnait rien pour lui être agréable. Tous les soirs, il lui lisait ce qu’il avait écrit dans la matinée : et puis on dînait, on se promenait au bord du fleuve ; le maître évoquait ses souvenirs, ou exposait ses projets. M. Weissheimer a pu, de cette manière, non seulement assister presque jour par jour à l’enfantement de l’œuvre nouvelle, mais recueillir aussi une foule de particularités intéressantes sur le caractère, les opinions, les procédés de travail de Richard Wagner. Et sans doute en aurait-il recueilli et nous en aurait-il transmis davantage encore, s’il avait été moins constamment préoccupé de se mettre lui-même en valeur : car on n’imagine pas la place que tenaient Busento et la symphonie de Toggenburg dans ses conversations avec l’auteur des Maîtres Chanteurs, ni la place qu’ils tiennent dans ses Souvenirs. Il nous y parle même de la « profonde impression » éprouvée par Wagner en écoutant la musique composée jadis par lui, M. Weissheimer, sur le poème de Tristan et Isolde ! Mais son livre, tel qu’il est, nous apporte vraiment un témoignage précieux sur le séjour de Wagner à Biebrich, et, d’une façon générale, sur ces premières années