est trouvé affaibli, comme l’est toujours un parti qui n’a pas compris une situation, et qui n’a pas vu ce que tout le monde voyait. Les radicaux, dans ces manœuvres préliminaires, ont montré une supériorité qu’il serait injuste de méconnaître. Tous leurs plans ont réussi. Le tour une fois joué, — et c’est la seconde explication de leur succès parlementaire, — ils ont adopté purement et simplement le programme des modérés. M. Brisson est venu lire à la tribune une déclaration si édulcorée que M. Camille Krantz a déclaré qu’elle aurait pu être signée de M. Méline. C’était faire tort à ce dernier. Les radicaux estiment que, lorsqu’ils sont de leurs personnes au pouvoir, leurs amis ont des garanties suffisantes pour n’avoir plus besoin de réformes : aussi n’en font-ils aucune. La démocratie doit être satisfaite, puisqu’ils sont satisfaits. Au contraire, lorsque les modérés sont aux affaires, les radicaux les poussent, les objurguent, les pressent, les débordent, les entraînent, et alors on fait quelques réformes. Il est vrai que les radicaux les déclarent aussitôt insignifiantes. Mais quand en feront-ils autant ?
Le programme politique de M. Brisson a d’ailleurs passé à peu près inaperçu. On a refusé de le regarder, parce qu’on l’avait déjà trop vu, et trop souvent. Nous nous rappelons le temps, — il date, à la vérité, de quelques années, — où l’on attachait de l’importance aux déclarations ministérielles. Elles étaient les manifestes des partis qui arrivaient de haute lutte au gouvernement. Le pays se passionnait pour ou contre, et les Chambres étaient l’organe naturel de ces passions diverses. Il y avait alors, dans la vie politique, un fond sérieux qui n’existe plus aujourd’hui. Une quinzaine d’années de concentration républicaine ont changé tout cela. On a vu se succéder dix, vingt ministères qui se ressemblaient comme des frères, et, à partir de ce moment, la littérature politique est tombée dans une banalité qui n’est pas exempte de fadeur. Il y a là, sauf la différence des genres, quelque chose de comparable à ce qui est arrivé à notre tragédie classique qui, autrefois faite de génie, a été faite ensuite de procédé, et a conservé sa plasticité extérieure après avoir perdu sa vie intérieure. Tous les ministères se ressemblant, toutes les déclarations ministérielles devaient se ressembler aussi. De cette uniformité est né un grand ennui. Nous avons traversé une période politique où tout était vague, flottant, indéterminé. On pouvait croire que la fin de la concentration serait aussi la fin de cette phraséologie, à peine supportable dans le Journal Officiel, que personne ne lit. Avec l’avènement de partis tranchés, se succédant aux affaires, on pouvait espérer des programmes