On n’avait pas attendu à Vienne d’être convié aux conférences de Constantinople pour observer d’un regard vigilant les événemens d’Arménie et suivre attentivement les délibérations dont ils étaient l’objet. Depuis que M. de Bismarck, au Congrès de Berlin, l’avait doté de la Bosnie et de l’Herzégovine en dépouillant le sultan de ces deux provinces, l’empire austro-hongrois devait fatalement soumettre sa politique à une orientation nouvelle ; expulsé d’Allemagne, sa force d’expansion ne pouvait s’exercer que sur ses frontières de l’Est ; il visait la Macédoine, qui le conduirait à Salonique et lui assurerait, avec une position formidable dans les Balkans, un port important dans les mers du Levant. A la vérité, la Macédoine était également convoitée par la Bulgarie, par la Grèce, et la Serbie ; déjà une agitation persistante remuait cette province parcourue par des émissaires provocateurs venus d’Athènes, de Sofia et de Belgrade. Dans cet état de choses, la répercussion en Europe des événemens d’Asie pouvait ouvrir prématurément, pour le gouvernement de l’empereur François-Joseph, une question qu’il avait, en ce moment, tout intérêt à ajourner. Aussi le comte Goluchowski, après le comte de Kalnoky, ne négligea aucune démarche, soit auprès du sultan par l’organe de son représentant à Constantinople, soit auprès des puissances pour hâter un apaisement durable dans toutes les provinces de l’empire ottoman. On ne saurait reprocher à l’Autriche de se considérer, en certaines éventualités, comme le légitime héritier de la Turquie dans une partie plus ou moins importante de ses possessions en Europe. Dans des vues qu’il serait superflu de rappeler, le premier chancelier allemand ne lui a pas laissé d’autres voies ouvertes pour des conjonctures qu’il serait puéril de ne pas prévoir. Mais il est manifeste, par cela même, que l’Autriche, en intervenant à la conférence de Constantinople, ne pouvait y apporter un esprit dépourvu de toute préoccupation particulière.
D’autres soins sollicitaient la politique de l’Allemagne, et il importe d’en déterminer le caractère. Anémiée par une invincible décadence, menacée par des convoitises extérieures, mise en péril par des serviteurs improbes et inintelligens, la Turquie, depuis plus d’un siècle, a dû se résigner à mettre sa défaillance à l’abri d’un puissant protecteur, le cherchant tantôt au nord, tantôt à l’ouest de l’Europe, selon les circonstances ; le cycle de ses évolutions avait successivement passé et repassé par Saint-Pétersbourg,