cabinet anglais pensa que le moment était venu de convier l’Allemagne, l’Autriche et l’Italie à coopérer à l’œuvre entreprise. Il prit l’initiative de cette proposition, qui fut agréée par la France et par la Russie. Les trois cours de la Triple Alliance y acquiescèrent, et le trio devint un sextuor. Voilà en quelles circonstances s’est constitué le concert européen, qui se révéla, à son apparition, comme un gage d’affranchissement pour les chrétiens d’Orient et une garantie de la paix générale.
A-t-on été bien inspiré en cette occasion, et la réunion à six offrait-elle de meilleures chances que la réunion à trois, d’atteindre le but que l’on avait en vue ? Les nouveaux venus apporteraient-ils une collaboration désintéressée au succès de la tâche collective, et ne fallait-il pas craindre, au contraire, que le sultan ne trouvât, dans leur concours, de plus faciles moyens d’éluder l’intervention de l’Europe et de semer entre les participans, devenus plus nombreux, des germes de défiance et de désaccord ? On incline à le penser, dès que l’on cherche à se rendre compte des intérêts particuliers et des mobiles de la politique des trois puissances alliées.
À ce moment même, l’Italie avait de graves sujets de préoccupations ; ses affaires en Abyssinie prenaient une fâcheuse tournure. Le premier ministre, peut-être à raison même de cette aventure et désireux de faire grand en Europe, sinon en Afrique, s’essayait à provoquer des conflits dans l’espoir d’en tirer de notables avantages. M. Crispi s’y était vraisemblablement déterminé par la nécessité de tirer le pays, qui fléchissait sous le poids d’impôts hors de proportion avec sa puissance économique, de la position difficile où il se trouvait placé. Il rêvait d’acquisitions nouvelles sur l’Adriatique et ailleurs. Dans ce dessein, il ne trouvait pas suffisante l’alliance qui unissait l’Italie à l’Allemagne et à l’Autriche ; il s’appuyait ostensiblement sur l’Angleterre pour exercer, dans la Méditerranée, une action de premier ordre, et pour combattre celle de la France. C’est avec ces diverses conceptions, résumant toute la politique du cabinet de Rome à cette époque, que l’Italie entreprit de s’acquitter de son rôle de grande puissance en Orient. Placée entre des désirs et des devoirs qu’il était malaisé de concilier, les misères des Arméniens ne pouvaient la toucher qu’à titre accessoire, et il n’était guère permis d’envisager sa coopération dans le concert européen comme un élément de succès pour la tâche que l’Europe avait assumée.