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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/526

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Chakir-Pacha ; les cabinets, consultés sur cette désignation, y donnèrent leur assentiment. En confiant cette mission à un dignitaire de l’armée ottomane, la Porte donnait, semblait-il, un gage de ses bonnes intentions, et on y applaudit tant à Londres qu’à Paris et à Saint-Pétersbourg. Chakir-Pacha partit, dans le courant de l’été[1], avec le titre d’inspecteur général des provinces orientales d’Anatolie. Il y résida pendant toute la période du martyrologe des chrétiens. À quel usage a-t-il employé son autorité, quels désastres a-t-il empêchés, quel secours a-t-il prêté aux victimes de ses coreligionnaires ? Nous n’en trouvons nulle trace dans la correspondance officielle, si ce n’est dans une dépêche de M, de la Boulinière, du 24 août 1896 : « La région (la province de Van) demeure encore bien agitée, écrit-il, et ce ne sont pas les conversions forcées à l’islamisme, comme celles de toute la population arménienne d’Adel-Djevaz que signale M. Roqueferrier, pas plus que les arrestations arbitraires à Angora et les exécutions capitales de Yuzgat, qui contribueront à pacifier les esprits. Pendant ce temps, Chakir-Pacha continue, dans l’intérieur de l’Asie Mineure, sa tournée d’inspection des vilayets où les réformes devraient être mises en pratique. Il était récemment à Sivas, et la venue du haut commissaire impérial avait, paraît-il, jeté la plus vive alarme dans les consciences troublées des fonctionnaires. Ils en ont été quittes pour la peur[2]. »

Que penser, quel jugement déduire de cet ensemble d’informations dont on voudrait suspecter l’exactitude, si elles n’émanaient d’agens éclairés et loyaux ? D’aucuns ont présumé que, dans la pensée du sultan, la question arménienne ne comportait qu’une solution : la suppression des Arméniens, et qu’il a abandonné à ses coreligionnaires le soin de la liquider par un monstrueux expédient. Comment y contredire devant les témoignages qui abondent dans la correspondance officielle, devant les efforts vainement réitérés de M. Cambon et de ses collègues pour obtenir la révocation du vali de Diarbekir, devant l’obstination de la Porte à soustraire au châtiment qu’il avait si bien mérité le colonel qui, s’étant engagé à le conduire en lieu de sûreté, a fait mettre à mort, par ses soldats, le Père Salvatore, après lui avoir enjoint, vainement

  1. « J’ai été avisé par Turkhan-Pacha (ministre des Affaires étrangères), écrit M. Cambon, le 27 août 1893, que Chakir-Pacha était parti avec pleins pouvoirs pour exécuter les réformes… et pour suspendre les fonctionnaires coupables d’abus. »
  2. Livre Jaune, p. 264.