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VI

Mais notre objet, en cette étude, n’est pas précisément de faire le procès du sultan et de son gouvernement. D’autres se sont acquittés et s’acquitteront de ce soin avec autant de conviction que d’autorité. Nous nous sommes surtout proposé, avec plus de témérité peut-être que de compétence, d’apprécier la politique et la conduite des grandes puissances de l’Europe devant cette crise qui, après un si lamentable commencement, s’est achevée dans le silence du tombeau. Depuis Chio et Missolonghi, l’Orient n’avait vécu de journées plus sinistres ; mais du sang innocent, abondamment répandu par les mains des Turcs à cette époque, avait germé une nationalité éteinte depuis plusieurs siècles ; les parrains en furent la France, l’Angleterre et la Russie ; l’Autriche n’intervint pas activement, et la Prusse, que l’intérêt des peuples souffrans n’a jamais touchée, s’abstint et s’effaça. Le concert des trois puissances, sans être européen, aboutit à l’émancipation de la Grèce, à la résurrection d’un peuple dont le passé avait été glorieux et dont le présent était horriblement malheureux. Qu’ont fait, de notre temps, dans des circonstances analogues, toutes les puissances réunies ?

En présence des sanglans événemens qui se multipliaient en Asie Mineure, de la Mer-Noire à la mer de Syrie, les puissances s’expliquèrent en vue d’y mettre un terme et d’en prévenir le retour, mais si, d’une part, on reconnaissait que l’Europe ne pouvait rester indifférente et inactive, de l’autre, on hésitait à prendre un parti. Le 20 octobre 1893, au moment des massacres de Diarbekir, lord Salisbury fit communiquer à tous les cabinets un mémorandum où il retraçait la longue série des engagemens contractés par la Porte, et il concluait en ces termes : « Mais si toutes les recommandations faites par les ambassadeurs semblaient, à toutes les puissances, dignes d’être adoptées, il ne saurait être admis, au point où nous en sommes maintenant, que les objections du gouvernement turc puissent être un obstacle à leur exécution. J’ai la confiance que les puissances en viendront, tout d’abord, à une entente précise, que leur décision unanime, dans ces matières, sera définitive et sera exécutée dans la mesure des forces que les puissances ont à leur disposition. Un arrangement préliminaire à cet effet facilitera grandement les délibérations des ambassadeurs et