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que de saine raison, le peuple grec tout entier, il calcula sa réponse de manière à ménager à la fois les cabinets et l’exaltation du sentiment national ; il se déclara prêt à rappeler ses navires et il offrit de faire concourir ses troupes en Crète à la pacification de l’île. L’accueil fait par la Grèce à la communication des puissances fut, par elles, diversement apprécié. La Russie et la France, l’Autriche elle-même, ne pouvaient se dissimuler qu’il impliquait une acceptation conditionnelle et, par conséquent, insuffisante ; qu’il y avait lieu, dès lors, de recourir à d’autres résolutions. L’Angleterre et l’Italie furent d’avis qu’il autorisait de nouvelles négociations ; à Londres, on pensa même qu’il pouvait y avoir avantage à utiliser les troupes du colonel Vassos au rétablissement de l’ordre. A Berlin, on considérait, sans détours, la note de la Grèce comme un refus absolu, et on estimait « qu’il n’y avait plus lieu de discuter avec les Grecs[1]. »

En invitant leurs représentans à Athènes à communiquer leur résolution à la Grèce, les puissances avaient consulté leurs amiraux sur les dispositions qu’il y aurait lieu de prendre, au cas où il faudrait la lui imposer. Ces officiers généraux, après en avoir délibéré, indiquèrent les mesures de rigueur qu’ils étaient en situation d’appliquer. Ces mesures consistaient à bloquer à la fois la Crète et tous les ports du royaume hellénique ; tout navire grec, rencontré à la mer, serait escorté à Milo avec injonction de ne pas s’en éloigner. Quoique adopté par les amiraux, d’un accord unanime, leur avis ne rencontra pas l’agrément de tous les cabinets. Obligé de tenir compte du sentiment public, hostile à toute intervention contre la Grèce, le cabinet de Londres ne voulut voir, dans la réponse des amiraux, « qu’une opinion technique » soumise à l’appréciation des cabinets. L’Allemagne jugeait que le moment de la répression était venu et qu’il convenait de l’exercer. Pourtant elle n’avait toujours qu’un unique navire en Crète et ne manifestait nullement l’intention de joindre un contingent de troupes de terre à ceux que les autres puissances y entretenaient. La Russie proposa diverses combinaisons en vue de rapprocher les opinions divergentes ou contradictoires ; la France s’y employa de son côté chaleureusement. Après de longs pourparlers, après avoir échangé de nombreuses dépêches et de plus nombreux télégrammes, après avoir perdu un temps précieux,

  1. Livre Jaune, tome II, p. 160.