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on décida, tardivement, comme nous le verrons plus loin, de borner l’action des forces maritimes internationales au blocus de la Crète.

Un autre point, non moins important, restait l’objet d’une controverse qui n’aboutissait pas davantage. Il était urgent de rétablir l’ordre en Crète, où le sang coulait toujours, malgré la présence des escadres européennes. Pour y parvenir, il fallait constituer l’autonomie de l’île ; les puissances s’y étaient engagées par la résolution qu’elles avaient prise de l’imposer à la fois à la Turquie et à la Grèce. On disputa longtemps à ce sujet sans arriver à une entente ; on l’attend encore à l’heure présente. On ne s’entendit ni sur le choix d’un gouverneur, ni sur l’étendue de ses attributions, ni sur les conditions de son investiture ; la Porte se réservait toute latitude à cet égard ; elle prétendait désigner elle-même ce haut fonctionnaire et le choisir parmi ses sujets chrétiens, avec l’assentiment des puissances. Rien, d’ailleurs, ne pouvait être arrêté et entrepris avant d’avoir pacifié le pays, avant d’avoir réduit chrétiens et musulmans à la soumission, et, à cet égard, on dissertait sans avancer. L’Autriche ne se montrait pas disposée à s’imposer de nouveaux sacrifices, à augmenter l’effectif de ses troupes, et l’Allemagne se refusait obstinément à toute participation de cette nature. La Russie suggéra de faire occuper la Crète par deux puissances, avec des forces suffisantes pour la pacifier et y organiser en paix le régime nouveau[1]. La France et l’Italie, pensait-on à Saint-Pétersbourg, pourraient recevoir de l’Europe cette mission, toute de confiance. À Londres, on inclinait d’autant plus à accepter cette combinaison qu’elle permettrait, croyait-on, au cabinet de la Reine, si elle était unanimement agréée, de coopérer au blocus des ports de la Grèce sans froisser sensiblement l’opinion publique. Lord Salisbury offrait même de substituer, au besoin, l’Angleterre et la Russie à l’Italie et à la France.

Le gouvernement français n’admit pas un instant qu’il lui fût loisible de se charger, avec l’Italie ou toute autre puissance, du rôle qu’on voulait lui confier ; il maintint, sans jamais varier, que toutes les puissances étaient engagées, au même titre, à rétablir l’ordre en Crète et à en assurer l’autonomie. « Nous sommes

  1. Cette suggestion, d’après une indication de notre ambassadeur à Saint-Pétersbourg, lui venait de Vienne, où l’on ne voulait cependant assumer aucune charge nouvelle. La chose est singulièrement caractéristique.