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situation s’aggravaient chaque jour davantage, pendant que les puissances ne prenaient aucune mesure pour les conjurer.

Ne se flattant plus de pouvoir y obvier sans un acte de rigueur, elles étudièrent les moyens d’y procéder. On avait consulté les amiraux, — nous le répétons, parce que ce trait éclaire les choses d’une vive lumière ; — ils avaient été unanimes pour conseiller le blocus simultané de la Crète, ainsi que du Pirée et des autres ports de la Grèce. C’est un avis technique, objecta l’Angleterre, et qui ne saurait prévaloir sur les considérations d’ordre international ; le sentiment public à Londres y était hostile. L’Allemagne, après la première injonction adressée au cabinet d’Athènes, déclarait qu’elle ne consentirait plus à discuter avec les Grecs. La France et la Russie s’interposaient, cherchant, sans y parvenir, des combinaisons propres à mettre d’accord les opinions divergentes. On se borna à établir le blocus en Crète, exclusivement dirigé contre les provenances des ports helléniques. On ne fit rien de plus, jusqu’à l’ouverture des hostilités éclatant entre les deux armées en présence sur la frontière de Thessalie.

Et il survint ceci de particulier, que les puissances, dont les sympathies étaient acquises au gouvernement du roi Georges, comme l’Angleterre, contribuèrent involontairement aux désastres subis par la Grèce en ne l’empêchant pas de s’y exposer, tandis qu’ils lui auraient été épargnés, si l’avis de celles qui lui étaient hostiles, comme l’Allemagne, avait prévalu, c’est-à-dire si on l’avait mise, en bloquant ses ports, ainsi qu’on le voulait à Berlin, dans l’impossibilité de provoquer la Turquie et d’engager la lutte avec elle. Rien, en effet, n’eût été plus aisé ; en fermant aux navires helléniques l’accès de la mer, on eût empêché le cabinet d’Athènes de concentrer son armée dans les provinces limitrophes de la Macédoine et surtout de l’approvisionner en matériel et en vivres par Volo. La Turquie, de son côté, n’aurait plus eu aucun prétexte de réunir des troupes sur la frontière de la Thessalie, et la guerre eût été conjurée.

La prévoyance et la fermeté ont-elles fait défaut aux puissances ? Ce qui est certain, c’est qu’elles n’ont pas rempli leur programme, et que les événemens ont trompé l’attente de la plupart d’entre elles. Toutes ont plus contribué à éloigner le double objet de leurs efforts qu’à l’atteindre : les réformes en Turquie et l’autonomie de la Crète. Les succès remportés par ses armées ont certainement rendu le sultan, déjà si peu disposé à déférer aux