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la victoire. Ainsi Napoléon oublie ou méprise l’avis de Reille, qu’en raison de la précision du tir et de la solidité de l’infanterie anglaise, on ne la peut vaincre que par des manœuvres. Il dédaigne de manœuvrer. Sans doute un mouvement contre la droite de Wellington, couverte par le village de Braine-l’Alleud et la ferme de Hougoumont et ayant comme réduit le village de Merbe-Braine, ne réussirait point, mais l’extrémité de l’aile gauche ennemie est très faible, tout à fait en l’air, mal protégée, facile à déborder. C’est par Frischermont, Papelotte et La Haie que l’on pourrait attaquer d’abord. Mais le beau résultat pour Napoléon que d’infliger une demi-défaite aux Anglais, et de les rejeter sur Hall et Enghien ! il veut la bataille décisive, l’Entscheidendschlacht. Comme à Ligny, il cherche à percer l’armée ennemie au centre pour la disloquer et l’exterminer. Il emploiera sa tactique accoutumée, l’ordre parallèle, l’attaque directe, l’assaut par masse au point le plus fort du front anglais, sans autre préparation qu’une trombe de boulets. Son audace a fait ses victoires ; maintenant ses souvenirs le perdent. Si loin va son illusion qu’il s’imagine que le seul corps de d’Erlon suffira à rompre la triple ligne des habits rouges et à occuper Mont-Saint-Jean.

L’Empereur, il est vrai, ne pouvait bien juger du nombre des Anglais, ni de la force de leur position. Plus de la moitié de l’armée alliée était masquée par les ondulations du terrain, et le général du génie Haxo, chargé de s’assurer s’il n’existait pas de retranchemens devant le front ennemi, avait rendu compte qu’il n’avait aperçu aucune trace de fortifications. Haxo avait mal vu ou mal apprécié, car le chemin creux d’Ohain, la sablonnière, les fermes de Hougoumont et de la Haie-Sainte pouvaient compter comme des retranchemens redoutables.


V

L’Empereur, peu d’instans après avoir dicté l’ordre d’attaque, pensa à préparer l’assaut de Mont-Saint-Jean par une démonstration du côté de Hougoumont. En donnant des inquiétudes à Wellington pour sa droite, on pourrait l’amener à dégarnir un peu son centre. Comprenant enfin le prix du temps. Napoléon résolut d’opérer ce mouvement sans attendre que toutes ses troupes fussent arrivées à leur place de bataille. Vers onze heures un quart, Reille reçut l’ordre de faire occuper les approches de Hougoumont.