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ses positions. Les versans des collines, l’instant d’avant couverts de combattans, n’étaient plus occupés que par des cadavres et des blessés. « Les morts, dit un officier anglais, étaient en maint endroit aussi serrés que des pions renversés sur un échiquier. » C’était l’aspect désolé d’un lendemain de bataille, et la bataille commençait seulement !

Pendant cet intervalle, un cuirassier se détacha de son régiment qui se reformait à la Belle-Alliance et, prenant le galop, descendit derechef la grande route. On le vit traverser toute cette vallée mortuaire où lui seul était vivant. Les Allemands postés à la Haie-Sainte crurent que c’était un déserteur ; ils s’abstinrent de tirer. Arrivé tout contre le verger, au pied de la haie, il raidit son corps de géant droit sur les étriers, leva son sabre et cria : Vive l’Empereur ! Puis, au milieu d’une gerbe de balles, il rentra dans les lignes françaises en quelques foulées de son vigoureux cheval.

A Hougoumont, la lutte se poursuivait de plus en plus ardente. Trois compagnies de gardes anglaises, un bataillon de Brunswick, un bataillon de la Légion allemande de Duplat, deux régimens de Foy, étaient venus successivement renforcer défenseurs et assaillans. Les Français, de nouveau maîtres du bois après l’avoir perdu, s’emparent du verger ; mais les gardes anglaises ne cèdent pas le jardin en contre-haut, que protège un petit mur muni d’une banquette, et se maintiennent dans la ferme. Sur l’ordre de l’Empereur, une batterie d’obusiers bombarde les bâtimens. Le feu s’allume dans un grenier, se propage, dévore le château, la maison du fermier, les étables, les écuries. Les Anglais se rembuchent dans la chapelle, les granges, la maison du jardinier, le chemin creux adjacent et y recommencent leur fusillade. L’incendie même fait obstacle aux Français. Dans les étables en flammes, d’où les ambulances établies par l’ennemi n’ont pu être évacuées, on entend de vains appels et des hurlemens de douleur.


HENRY HOUSSAYE.