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rendait aux finances nationales une saine élasticité. En matière de finances, Gladstone appartenait, cœur et âme, à cette école qui voit dans tout impôt une atteinte à la liberté individuelle, et qui envisage l’économie comme le premier et le plus sacré des devoirs d’un administrateur des deniers de la nation. Il avait trouvé le moyen, dans son esprit comme dans ses budgets, de réconcilier les intérêts spirituels et les intérêts matériels de l’État, d’investir les chiffres d’une sorte d’idéalisme et de faire non seulement de la bonne politique, mais de la haute morale, en faisant de bonnes finances.

Une telle gestion aurait rapidement produit des fruits incomparables, si un accident n’était venu déranger tous les calculs. On sait comment lord Aberdeen, en voulant la paix, glissa peu à peu à la guerre. Pour la première fois depuis quarante ans, l’Angleterre allait, en Crimée, tirer l’épée du fourreau, de concert avec la France, et pour la Turquie. Cet épisode de sa vie politique a été fort reproché à Gladstone. Vingt ans plus tard, quand il eut, dénoncé les atrocités bulgares et demandé l’expulsion d’Europe du Turc, avec armes et bagages, on releva la contradiction. Il ne disconvint pas que le temps et les événemens avaient changé du tout au tout son opinion sur l’empire ottoman et son droit de vivre. Il ne répudia pas davantage la responsabilité de ses actes. Suivant lui, il avait été du devoir des puissances occidentales, avant de prononcer l’arrêt de mort contre la Turquie, de tenter de lui inoculer le germe d’une civilisation supérieure. S’il était juste de se livrer à cette expérience, il fallait donc protéger la Turquie contre une agression, dictée d’ailleurs au tsar Nicolas beaucoup plus par des motifs d’ambition que par le souci du progrès et de l’humanité. Le ministère Aberdeen ne tarda pas à tomber. Lord Palmerston prit le pouvoir, et conserva d’abord dans son cabinet Gladstone et les autres Peelistes. Il y avait, à cette heure, incompatibilité d’humeur entre ces doctrinaires et le grand opportuniste, et les premiers donnèrent bien vite leur démission. Pendant quatre ans, Gladstone fut de nouveau hors cadre. Ses loisirs furent employés à compléter le grand ouvrage sur Homère qu’il méditait depuis si longtemps. Juventus mundi n’est pas précisément un livre d’érudit, bien qu’il s’y trouve beaucoup d’érudition et que l’auteur connaisse Homère comme pas un savant allemand. C’est un curieux essai où les opinions théologiques et religieuses de l’élève d’Oxford ne laissent pas de fausser un peu les