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qui décoraient les façades et où l’on retrouve sinon des copies, du moins des réminiscences de tableaux du maître : Persée et Andromède, la Marche de Silène, le Jugement de Pâris, l’Enlèvement de Proserpine, etc., tout cela révèle bien la présence et les prédilections du grand coloriste.

Telle qu’elle était, cette habitation était bien faite à son usage, construite en vue de sa vie d’intérieur et de travail. Grande, bien aérée, elle offrait pour lui et pour sa famille des appartemens assez vastes. Les trois enfans, — une fille, Clara, et deux garçons, Albert et Nicolas, — qui étaient venus successivement animer cette grande maison (1611, 1614 et 1618) et fournir à l’artiste de gracieux modèles, pouvaient s’ébattre à l’aise sous l’œil des païens, dans le jardin que Rubens avait planté d’arbres de toutes les essences qu’il avait pu rassembler, parmi les fleurs et les animaux domestiques dont il aimait à s’entourer. Des études faites par lui nous montrent, en effet, des chiens de diverses espèces, des lévriers, des matins, des épagneuls, qu’on retrouve du reste dans un grand nombre de ses tableaux. Il avait sous la main, à l’écurie, un beau cheval de selle andalou que chaque jour il montait et dont il pouvait, sans sortir de chez lui, étudier les formes et les allures. Des fenêtres. les plus élevées, au-dessus de la silhouette accidentée des pignons et des clochers, il découvrait une grande étendue de ciel, de ce beau ciel d’Anvers semé de grands nuages toujours en mouvement et dont les formes et les nuances mobiles étaient bien faites pour réjouir ses yeux. C’était là pour cet observateur attentif un spectacle sans cesse renouvelé, plein de vie et de contrastes, tel qu’il pouvait le souhaiter.

Cependant, si grand que fût son désir d’orner sa demeure, Rubens ne s’était jamais départi de ses habitudes de sage économie. Les dépenses de construction, les achats de tableaux, de sculptures, de gemmes, de gravures et de livres avaient donc été échelonnés d’année en année, suivant les ressources disponibles. Mais, avec le temps, tous les objets précieux qu’il collectionnait ainsi avaient fini par encombrer son logis et s’y trouvaient exposés pêle-mêle, sans agrément pour le regard. Pour mieux en jouir, dès qu’il l’avait pu, il s’était fait construire un grand bâtiment en forme de rotonde, où il avait rangé en bon ordre tous ses trésors. Une des planches de Harrewyn nous offre une vue de l’intérieur de cette rotonde dans l’état où elle était en 1692, alors que le chanoine Hillwerve l’avait transformée en chapelle. De Piles,