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de Westminster. La thèse de Gladstone était d’une manifeste exagération : il soutenait que les fidèles du pontife infaillible ne peuvent professer une loyale obéissance à la souveraineté de la Reine. Dœllinger, à cette aube du brutal Kulturkampf allemand, avait un peu trop déteint en cette occasion sur son ami Gladstone. Les protestans en Angleterre furent étonnés et ravis.

Aussi bien en eut-il moins de peine à reconquérir sa popularité. Les affaires d’Orient vinrent le rejeter dans le tourbillon. Il ne fallut rien de moins que les massacres de Bulgarie pour le tirer de sa retraite. La voix de ces victimes retentit d’autant plus puissamment à ses oreilles qu’il se sentait, personnellement, responsable en partie, comme l’un des auteurs de la guerre de Crimée, de la survivance de la Turquie et des crimes de « l’ineffable Turc ». Homme de conscience et d’émotion, il abjura du coup le dogme de l’intégrité et de l’indépendance de l’empire ottoman. Aujourd’hui que l’Angleterre tout entière, le cabinet conservateur en tête, professe la plus vive hostilité contre le Sultan et ses œuvres, on a peine à se rendre compte du scandale produit par la brochure des Atrocités bulgares. S’il était un principe traditionnel de politique nationale, c’était la préservation de la Turquie. Les masses ne s’émurent point pour une pareille abstraction ; au contraire, les dénonciations passionnées de Gladstone éveillèrent un écho dans l’âme populaire. A près de soixante-dix ans, il se lança à corps perdu dans la carrière d’agitateur. En d’immenses meetings, jusque sur les landes d’une vaste plaine, il souleva les multitudes. D’un bout à l’autre de l’Angleterre, il provoqua une insurrection de la conscience nationale. Ce fut un sublime élan. Il gêna prodigieusement les politiques : je dis ceux-là mêmes qui, libéraux de nom, menaient contrôle gouvernement une opposition de commande. Hartington, Forster, les sages froncèrent le sourcil, hochèrent la tête. Si l’opposition officielle ne suivit que de loin les impétueuses charges de Gladstone, le ministère n’en vit pas moins sa politique déjouée, son sort compromis. Disraeli, devenu Beaconsfield, aurait voulu lier une grande partie avec la Turquie. Il avait obtenu le concours de lord Salisbury, qui n’avait pas su résister à ses séductions. Et voilà qu’il trouvait devant lui, pour lui barrer le passage, ce rival vaincu ! Toute l’histoire de ces années est dans cette lutte, dans l’effort sans cesse renouvelé par un politique sans scrupules pour tourner l’obstacle et réaliser ses téméraires desseins. Les divers actes de cette tragi-comédie se sont appelés la