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avec une brigade de cuirassiers. Puis l’idée lui était venue de brusquer la retraite des Anglais en lançant contre eux tous les cuirassiers de Milhaud. C’est pourquoi il avait fait avancer ces deux divisions. Peut-être, cependant, eût-il hésité à les engager sans un nouvel ordre de Napoléon. Mais quand il vit descendre dans les fonds de la Haie-Sainte, avec cette multitude d’escadrons cuirassés, les chasseurs à cheval de la garde et les lanciers rouges, il ne douta pas que ce ne fût d’après les instructions mêmes de l’Empereur qui avait jugé l’heure opportune pour la grande attaque. Autrement la cavalerie légère de la garde n’aurait pas suivi les cuirassiers. Il paraît à peu près certain pourtant que Napoléon n’avait rien vu de ce mouvement. Du pli de terrain où se trouvaient en position les divisions de Milhaud et de Lefebvre-Desnoëttes, elles pouvaient gagner la route de Bruxelles, la traverser tout contre la Belle-Alliance et descendre dans le vallon sans que les aperçût l’Empereur, posté près de la maison Decoster. Mais le maréchal Ney n’en était pas moins bien fondé à supposer que cette masse étincelante de quatre mille cavaliers n’avait pas échappé aux regards de Napoléon. Il forma en hâte ces beaux escadrons dans le creux du vallon, sur la gauche de la route de Bruxelles, et s’élança à leur tête contre l’armée anglaise.


II

Wellington songeait si peu à battre en retraite qu’il venait de renforcer son front de bataille par plusieurs brigades de sa seconde ligne et de sa réserve. Les Brunswickois se portèrent au soutien des gardes de Maitland, les brigades Mitchell et Adam traversèrent la route de Nivelles pour s’établir au-dessus de Hougoumont, en avant du chemin d’Ohain. On n’était pas, d’ailleurs, sans inquiétude dans l’armée alliée. L’état-major observait avec anxiété — anxiously — les positions françaises, cherchant à prévoir quel mouvement préparait Napoléon, lorsque la cavalerie descendit vers la Haie-Sainte. La surprise fut extrême, et beaucoup de craintes se dissipèrent. « Nous nous étonnâmes, dit un aide de camp de Wellington, que l’on tentât une attaque de cavalerie contre une infanterie encore non ébranlée[1] et qui, grâce

  1. L’infanterie anglaise formant le centre gauche avait souffert davantage, mais de ce côté le plateau était inaccessible à la cavalerie à cause des hautes et fortes haies du chemin d’Ohain.