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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/820

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hauts fonctionnaires, et le podorojné officiel ou du gouvernement, qui se donne à peu près à tous les fonctionnaires et que les étrangers munis de recommandations et les particuliers de marque obtiennent assez facilement. Le premier de ces documens confère le droit à qui en est porteur de prendre des chevaux en arrivant aux relais, avant toute autre personne, de primer le service des postes lui-même ; le second donne le pas sur les voyageurs ordinaires qui n’en sont pas munis. En dehors des podorojnés, il y a deux autres catégories de papiers permettant de prendre des chevaux, non plus seulement aux maîtres de poste, mais à certains paysans qui touchent une subvention de l’État pour entretenir des attelages. Muni d’un podorojné officiel et de ces deux derniers documens, j’ai parcouru en fait une moyenne de 140 verstes et atteint au maximum 180 verstes dans les vingt-quatre heures.

C’est un train déjà rapide, dans l’état d’encombrement actuel de la route, parcourue par quantité de voyageurs officiels s’occupant des travaux du chemin de fer, et, pour l’atteindre, il faut marcher jour et nuit, aussi longtemps qu’on trouve des chevaux. On se décide sans regret à faire dans l’obscurité une partie de ce monotone trajet. La grande route forme une trouée large de quarante mètres au milieu de la forêt de pins et de mélèzes. La partie centrale aussi large qu’une route nationale de France est, jusqu’à Irkoutsk, assez bien entretenue, souvent même empierrée ; de part et d’autre, s’étendent des bas côtés herbus, qu’un fossé sépare des bois. De loin en loin, la haute muraille verte de la futaie s’interrompt pour faire place à une clairière où s’allonge un village entouré de quelques cultures et précédé d’une borne qui porte inscrits sur une plaque son nom, le nombre des feux et des habitans de chaque sexe. On est vite blasé sur la beauté des arbres et l’on n’a pour se distraire que les menus spectacles de la route : longues files de télègues chargées de marchandises, convois d’or accompagnés par des soldats, baïonnette au canon du fusil, interminables convois d’émigrans qui mettent parfois un an pour atteindre leur but lointain sur les bords de l’Amour ou de l’Oussouri. Ils forment des groupes pittoresques le soir, quand les femmes, souvent des Petites-Russiennes, aux vêtemens pauvres, mais arrangés avec goût, plus jolies et plus fines que les Moscovites, vont puiser de l’eau ou préparent le repas, tandis que les hommes détellent les télègues, puis se groupent autour de l’un d’entre eux qui sait lire et ânonne la Bible. Lorsqu’on a dépassé