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les phénomènes de compression, de soulèvement, les dislocations et les crevasses qui se produisent sur une pareille étendue de glace rendraient l’expérience des plus périlleuses.

S’il n’y a point eu grand mérite à vaincre les obstacles presque partout assez faibles que la nature opposait au Transsibérien, il y en a eu beaucoup à utiliser aussi bien qu’on l’a fait les ressources qu’offrait, pour l’exécution rapide des travaux, le vaste réseau fluvial de la Sibérie. Les rails des usines de l’Oural ont été transportés durant la belle saison par le Tobol, l’Irtyche et l’Obi aux points où le chemin de fer coupe ces deux derniers cours d’eau, et l’on a pu avoir ainsi trois points de départ à la fois : en même temps qu’on s’avançait vers l’est de Tcheliabinsk, on rayonnait dans les deux sens de Krivochlchekovo sur l’Obi et d’Omsk sur l’Irtyche ; c’est grâce à ces cinq fronts d’avancement simultanés que les premières sections ont été si vite achevées.

On ne peut faire de même en Sibérie centrale, où les affluens de l’Iénisséi sont trop peu navigables ; mais à l’extrémité orientale, le chemin de fer de l’Oussouri a été construit ainsi en partant de Vladivostok et un peu plus tard aussi de l’Amour. Enfin des rails qui avaient fait le tour de toute l’Asie par mer, ont remonté ce fleuve sur plus de 3 000 verstes, ont été débarqués à Strietensk et avaient déjà été posés en août 1897 sur plus de 100 verstes. Les travaux étaient en bonne voie lorsque les immenses inondations qui ont dévasté cette région l’année dernière sont venues en détruire une grande partie : le ballast n’étant pas posé, on a vu, m’a-t-on raconté, cinq kilomètres de rails descendre au fil de l’eau, portés par les traverses. Lorsque je parcourus ce pays, les eaux avaient commencé de se retirer, mais les remblais étaient partout enlevés ; il n’en restait quelquefois plus trace, des locomotives et des wagons gisaient renversés dans la boue. On se remettait déjà courageusement à l’œuvre et l’on profitait des hautes eaux pour porter des rails le plus loin qu’on pouvait au-dessus de Strietensk. L’extrême longueur du trajet qu’on leur impose depuis l’Europe et les difficultés de la navigation de l’Amour expliquent que les travaux avancent plus lentement de ce côté qu’en Sibérie occidentale et centrale.

Une des questions qui avaient le plus préoccupé les promoteurs du Transsibérien, celle de la main-d’œuvre, a été aussi heureusement résolue. Lorsque les travaux de terrassement, aujourd’hui presque terminés, battaient leur plein, ils ont exigé