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l’emploi de plus de 150 000 travailleurs à la fois ; quoique la plus grande partie de la population sibérienne soit concentrée le long de la route de poste qui suit de près le chemin de fer, cette population est trop faible pour suffire au recrutement de tant d’ouvriers. La main-d’œuvre pénale a été employée avec quelque succès aux environs d’Irkoutsk, avec de médiocres résultats ailleurs : elle n’est pas non plus très nombreuse. Enfin le Transsibérien n’est pas, comme le Transcaspien, exécuté par les autorités militaires ; le faible effectif des troupes stationnées en Sibérie, surtout à l’ouest du Baïkal, ne permettait pas de leur en confier la construction. En tout autre pays que l’Empire russe, le problème de la main-d’œuvre aurait donc été fort difficile à résoudre. Il a été résolu aisément, grâce aux habitudes assez nomades des paysans de Russie d’Europe qui forment le plus grand nombre des ouvriers : ils laissent leur famille au village et viennent faire des terrassemens en Sibérie, comme ils vont s’employer aux usines de Moscou ou de Riazan, sans cesser de faire partie de leur commune, de leur mir. Leurs femmes et leurs enfans restent quelquefois plusieurs années sans les revoir, quoiqu’ils s’efforcent en général de retourner passer quelques semaines chez eux au moment de la moisson, s’ils ne sont pas trop éloignés. Ceux qui travaillent en Sibérie reviennent plutôt durant l’hiver, pendant que la construction du chemin de fer est interrompue par le froid.

La morte-saison dure en effet près de six mois pour les travaux du Transsibérien, d’octobre en avril : non seulement le sol se recouvre de neige, mais il gèle encore à une grande profondeur et il devient impossible de remuer les terres. Sur la plus grande partie de la ligne de Transbaïkalie, on se trouve même en face du sous-sol éternellement glacé, le dégel n’atteignant en été qu’une couche superficielle de 2 à 4 mètres d’épaisseur : pour faire les déblais il faut alors tailler dans un roc que l’exposition au soleil transforme bientôt en boue ; c’est pour réduire la longueur de ces difficiles passages, en même temps que pour traverser une région d’un plus grand avenir, qu’on a dévié la ligne vers le sud entre Verkhnié-Oudinsk et Tchita en l’écartant de la route de poste.

Cette brièveté de la saison de travail, réduite à la moitié de l’année, rend plus méritoire encore la rapidité avec laquelle a été construit le chemin de fer : de Tchéliabinsk à Nijni-Oudinsk, on a construit 2 500 verstes en cinq campagnes, de 1893, — l’ordre de