tardera pas. Trois d’un côté, trois de l’autre, il en faudra référer à moi, et les vaincus s’en iront. Alors, Pasquier reviendra à ma gauche, mon Élie à ma droite ; le Maréchal et Portai resteront à leur place, d’Argout à la droite du Maréchal et, j’espère, Roy vis-à-vis de lui. Ces messieurs pousseront des hurlemens. Mais les gens sages diront : Decazes seul eut raison. Il n’a voulu se laisser entraîner ni d’un côté ni de l’autre, et surtout rester ferme sur sa ligne. »
Après avoir reçu cette lettre, Decazes renonce, quoique à regret, à son projet primitif. Il se laisse emporter par le courant libéral qu’a déchaîné, dans le pays et dans les Chambres, la formation du nouveau ministère. Comme l’effort qu’il vient de faire pour modérer ce grand mouvement demeure ignoré, c’est à lui qu’est attribué en partie le mérite de la politique nouvelle qui semble prévaloir, et qui consiste à chercher la majorité du côté gauche. Sa popularité augmente et du même coup celle du Roi. En revanche, l’extrême droite, et avec elle le Comte d’Artois, la Duchesse d’Angoulême, le Duc et la Duchesse de Berry redoublent de violence contre le favori qu’ils accusent d’entraîner ses collègues, tandis que ce sont ses collègues qui l’entraînent. Dans le ministère nouveau, Decazes, depuis longtemps bouc émissaire de tous les vieux griefs des ultra-royalistes contre le ministère Richelieu, — la dissolution de la Chambre Introuvable, la loi électorale, la loi de recrutement, — devient responsable des griefs nouveaux qu’ils accumulent contre le ministère Dessoles.
Cette politique de gauche dont à chaque conseil il entend vanter les mérites sourit médiocrement à Louis XVIII. Il voudrait bien être un souverain libéral, mais avec les centres, et non avec la gauche, dont il redoute les exigences. Cependant, loin de se refuser à l’essai qu’on va tenter, il le veut sincère et complet, convaincu d’ailleurs qu’il ne réussira pas et non moins résolu à ne pas encourir le reproche de l’avoir fait échouer. Decazes est le confident de ses inquiétudes et de son antipathie contre les doctrinaires. L’un d’eux étant venu aux Tuileries, le Roi rend compte de cette visite :
« Je suis plus fort que toi, mon cher fils, et cependant peu s’en est fallu que l’ergotage de Camille Jordan ne m’ait rendu malade. Tu te souviens que, l’an dernier, il parla comme un cocher dans une affaire bien intéressante puisqu’il s’agissait de toi. On dit alors qu’il était malade. Je le crus dans le moment ; je n’en