fait sentir aussi dans certaines figures, comme les célèbres têtes, dites tête Rampin, tête Jacobsen, du nom de leurs possesseurs, et le profil d’un jeune discobole en bas-relief trouvé au Céramique extérieur. Toutes trois, mais surtout les deux dernières, s’inspirent assurément du modèle vivant. Nous n’avions pas encore rencontré cette expression de brutalité énergique de la tête Jacobsen ou ces formes allongées et délicates, cette finesse élégante, très particulière, du jeune discobole. Je sais, quand on parle de l’art archaïque, comme il faut être prudent. Bien d’autres œuvres de cette époque nous auraient laissé cette même impression de personnalité, si par hypothèse chacune d’elles nous était parvenue isolée. N’eût-on trouvé à Egine qu’un seul guerrier des frontons, sur l’Acropole qu’une seule prêtresse d’Athéna, dans le Péloponnèse qu’une seule statue d’athlète, frappés également de leurs traits si particuliers, nous aurions sans doute parlé de modèle fidèlement rendu et de ressemblance véritable. Seulement les fouilles nous ont livré beaucoup de guerriers éginètes et de prêtresses d’Athéna. Chacun apparaissait avec ces mêmes traits si particuliers. Dès lors plus d’individualité. Si, de même, l’athlète de la collection Jacobsen et le discobole du Céramique paraissent avoir une réelle personnalité, ne le doivent-ils pas peut-être simplement au hasard, à l’imperfection de nos connaissances archéologiques, et ne suffirait-il pas d’une trouvaille heureuse pour voir s’évanouir cette apparence ? Il serait injuste cependant de méconnaître les efforts tentés et les résultats obtenus. Ce ne sont pas encore, loin de là, des portraits au sens moderne du mot ; mais ce n’est plus la pure convention, la routine, l’obéissance servile aux traditions anciennes. On commence à sentir l’influence de la nature. L’artiste, presque uniquement soucieux jusque-là de la facture des corps, porte ses regards sur les visages humains. Précieuse conquête que celle-là. Désormais les grands sculpteurs du Ve siècle peuvent paraître. Aux environs de l’an 450 avant notre ère, tout est prêt pour leur permettre de créer leurs chefs-d’œuvre. L’éducation technique est achevée ; science du nu, habileté de métier, sont acquises, et en perfection. La main est devenue singulièrement précise ; l’œil a découvert de nouveaux objets d’étude qu’il avait négligés tout d’abord, et y tourne son attention. Que manque-t-il encore pour réaliser le portrait, tel que nous l’entendons ? Rien que la volonté de le réaliser.
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