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Ainsi le labeur des vieux maîtres n’a pas été inutile. Cette enfance de l’art grec a été longue ; mais elle est intéressante comme toutes les périodes d’origine et de formation, où s’élabore, par un travail souvent ingrat, lent toujours, l’épanouissement de la maturité. C’est le même genre d’intérêt qui s’attache à tous les primitifs, anciens ou modernes, grecs, italiens, allemands ou flamands, aux sculpteurs français du moyen âge. Chez les uns nous trouvons l’effort pour saisir l’expression des physionomies, pour mettre sur les visages l’intensité de sentiment, l’ardeur de foi religieuse et mystique dont sont pénétrées les âmes ; et c’est de là que sont nées les fresques de Giotto, les délicieuses figures de l’Angelico, les statues de nos cathédrales gothiques. Chez les autres, nous voyons l’application acharnée à se rendre maître des proportions et de l’anatomie, à camper un athlète dans une attitude vivante : et ce fut la tâche des sculpteurs grecs archaïques. Mais partout c’est la même lutte ardente, le même drame pathétique de l’artiste aux prises avec l’exécution, tout d’abord rebelle, qu’il parvient à dompter. Et c’est notre excuse aussi pour nous être attardé à ces origines.


II

Nous sommes arrivés à la seconde moitié du Ve siècle, à l’époque glorieuse entre toutes, celle des grands noms et des œuvres triomphantes. Quel enseignement nous donnera un Myron, un Polyclète, un Phidias ? Et si jusqu’à eux l’art manquait encore de la souplesse nécessaire pour fixer quelque chose d’aussi changeant et mobile que les physionomies humaines, maintenant qu’il a conquis sa pleine liberté, ne va-t-il pas tâcher de saisir la vie individuelle dans ses moindres manifestations, apporter à cette étude un peu de la passion et de la curiosité frémissante qu’y met l’âme inquiète de nos contemporains ? Il n’en est rien. Exprimer la vie sera bien pour lui l’objet véritable et la fonction même de l’art ; mais il y a une vie supérieure à la vie toujours incomplète de l’individu, c’est la vie que peut recevoir l’être humain sous la forme générale du type : c’est vers celle-là que tendront les maîtres du Ve siècle.

Ils ont chacun leur conception esthétique. Myron est épris de l’énergie physique, de l’action violente concentrée dans un moment décisif ; Polyclète aime les attitudes tranquilles, pondérées, qui